Champion d’Europe de la modestie
Vincent HERVOUET

En guerre comme en amour, pour en finir, il faut se voir de près!» Cette formule virile est de Napoléon auquel François Hollande ressemble peu, sinon par la taille. On n’imagine pas que le nouveau président français mette l’Europe à feu et à sang. Et pourtant, il a débarqué à Bruxelles, au coeur de la machinerie européenne, pour y participer à son premier dîner européen avec les 26 autres chefs d’Etat et de gouvernement qui doivent devenir ses meilleurs amis pour les cinq ans à venir comme un hussard galopant sabre au clair.

Fonçant sur Angela Merkel et les alliés de l’Allemagne en faisant des moulinets avec les euro-obligations qui provoquent la révulsion sur l’autre rive du Rhin. Les Allemands considèrent la mutualisation des dettes qu’il faudrait rembourser en empruntant à des taux extravagants comme une image de l’enfer sur terre. François Hollande continue à se présenter comme le chevalier de la croissance face au chancelier de l’équilibre budgétaire. Une fois élu, il garde la pose qui lui a réussi pendant la campagne.Même après avoir discuté dans le blanc des yeux avec Angela Merkel à Berlin, à Camp David, à Chicago, à Bruxelles, il continue à aligner ses arguments comme s’il ne s’était rien passé. Ni l’élection, ni la crise qui s’aggrave en Europe, ni la volonté du voisin allemand qui reste le partenaire privilégié, l’allié incontournable. Explication : le Français garde l’oeil sur l’horizon des législatives.

Jusqu’à la fin juin, il sera le défenseur de la veuve grecque que les mesures d’austérité ont réduit à la misère et de l’ouvrier orphelin de l’industrialisation. Evidemment, nul n’est dupe. Chacun autour de la table communautaire a compris que le nouveau président français reste en campagne. Il peine d’ailleurs à oublier Nicolas Sarkozy, dont le rejet fut pendant des mois son meilleur argument électoral. Ainsi a-t-il gagné Bruxelles en train en affichant une forme de simplicité, qui tranche avec l’Airbus présidentiel surnommé Air Sarko One. François Hollande a pris le TGV comme n’importe quel haut fonctionnaire anonyme convié à une parlote bruxelloise. Il serait insidieux de relever que ce n’est pas très «normal» pour un Président puisque tous les autres prennent l’avion. Et pas très pratique puisqu’il n’y avait plus de train en sortant de table et qu’il a fallu utiliser des voitures acheminées spécialement de Paris pour rentrer à la maison. Sans oublier le Falcon médicalisé que les services de sécurité avaient rapproché… Qu’importe, l’image du président prenant le Thalys est éloquente : superbe humilité ! Champion d’Europe de la modestie... Le fond, c’est la forme.

L’essentiel, c’est l’accessoire. Ce théâtre est censé durer jusqu’aux législatives. Ensuite, fini de rire. Les «euro-bonds», qui ne sont envisageables que dans une perspective fédérale à très long terme, deviendront sans doute des «project bonds», projets concrets et à moyen terme financés avec des fonds européens… De la même façon, le contingent à rapatrier d’urgence, avant la fin de l’année, d’Afghanistan s’est transformé au sommet de Chicago en retrait des «troupes combattantes », ce qui change tout puisque le détachement français avait reçu l’ordre dès les débuts de la campagne présidentielle de limiter ses sorties pour réduire les risques d’engagement avec les talibans, donc les occasions de combattre… Ces habiletés feraient les délices des Machiavels de salles de rédactions mais il y a le feu à Athènes et il menace de gagner l’Espagne dont les banques ont replongé ou l’Italie qui inquiète les marchés. Une cellule plus ou moins secrète a été mise sur pied au sein de la Commission européenne pour échafauder les scénarios d’une faillite de la Grèce.

Il y a un mois, c’était encore un tabou que seuls les souverainistes et les excentriques osaient transgresser. Mieux : l’Eurogroupe a publiquement intimé à ses membres de plancher sur les conséquences d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Nul ne sait s’il s’agit d’anticiper le chaos qui menace ou d’intimider les électeurs grecs qui seraient tentés de donner leurs suffrages aux populistes comme A. Tsipras qui refuse d’honorer les engagements pris avec le FMI et l’UE. Dans tous les cas, on risque de précipiter la catastrophe que l’on prétend conjurer en demandant à des experts d’y réfléchir… Les prophéties auto-réalisatrices sont l’ordinaire de la politique. Un candidat qui veut se faire élire prétend avoir la majorité avec lui et finit ainsi par l’obtenir. François Hollande connaît par coeur cette règle. Il l’a d’ailleurs utilisé avec succès quatre jours avant son élection en psalmodiant devant des millions d’électeurs: «Moi, Président de la République… ». L’expérience enseigne que rien ne se fait en Europe sans un accord entre la France et l’Allemagne. C’est leur alliance qui a permis de surmonter la crise financière de 2008. Le spectacle de leur désaccord, délibérément mis en scène, à un moment aussi décisif paraît une légèreté hors de saison. фитнес трекеры