Le ténor Yanis Benabdallah ovationné à Dar Souiri
Yanis Benabdallah

Dans la catégorie concert en famille, chère au printemps des Alizés d’Essaouira, les deux frères Marouan Benabdallah (piano) et Yanis Benabdallah (ténor) nous ont livré du grand art, en interprétant des morceaux profonds (Poulenc, Roussel, Liszt, Kodàly, Franz Léhàr), qui ont transporté, sous le vent des Alizés, les mélomanes, avides de sensations fortes et de moments intenses . En interprétant des mélodies pénétrantes et émotives, le jeune ténor lyrique maroco-hongrois Yanis Benablallah -primé à maintes reprises à l’international- qui s’est produit pour la 1èrefois au Maroc a ému le public par son interprétation, son aisance scénique et son engagement dramatique. Grâce à l’expressivité de son visage, l’élégance de son phrasé et le timbre chaleureux de sa voix, le texte renoue avec sa puissance d’évocation et nous plonge dans l’ambiance romantique de l’époque. « L’émotion du concert des frères Benabdallah m’a énormément marqué », nous confie Dina Bensaid, la directrice artistique du festival. Rencontre avec un artiste talentueux, humble, charismatique, extrêmement sensible, et qui porte déjà en lui la marque des très grands.

L’Observateur du Maroc. Vous avez commencé avec le piano puis le violon avant d’arriver au chant, pour quelle raison ?

YANIS BENABDALLAH Dans la famille, il y avait déjà monfrère Marouan qui était surdoué en piano, puis, pour une question d’égo, chacun a fini par trouver sa place. J’ai toujours chanté et à 4 ans, j’étais sous la direction de ma mère, qui est chef de choeur.

Vous êtes devenu aussi chef de choeur, par passion ou plutôt pour suivre le modèle de vos parents ?

À 6 ans, je critiquais déjà ma mère, j’étais dans les choeurs d’enfants, je lui faisais des réflexions comme quoi elle dirigeait mal (rires),… C’est une décision personnelle avant tout.

Qu’est ce qui vous a donné l’envie de devenir ténor ?

On ne choisit pas trop de devenir ténor. Au départ, je ne voulais pas en faire mon métier, c’était plutôt le rapport au chant que j’aimais bien et qui me touchait énormément, car, je me suis aperçu que dans la musique, tout est lié au chant. La voix humaine, c’est quelque chose qui me parle plus parce que c’est humain.

Cela fait quoi de jouer un concert en famille avec son frère ?

On ne joue pas souvent ensemble, on a deux caractères très différents, on s’aime beaucoup mais on a des tempéraments très ancrés, cela dit, c’est toujours un plaisir de jouer avec lui. C’est à la fois dur et facile, dur dans le dialogue, parce qu’il faut aller outre l’aspect fraternel, mais en même temps, on se comprend énormément, on ne répète quasiment pas.

Est-ce qu’il y a des thèmes auxquels vous êtes plus sensible ?

Dans l’opéra, 95% des thèmes parlent d’amour, donc, on ne peut pas passer à côté. Cela dit, je suis trop jeune pour prétendre avoir un thème à moi. À Essaouira, j’ai choisi de chanter des mélodies du grand compositeur hongrois Kodaly, car elles sont très émotives. Les mélodies sont très ancrées dans la culture hongroise, ce sont des mélodies populaires à la base, qui étaient chantées par le peuple ; ce n’est pas très intellectuel. Autant la musique française est intellectuelle dans la sonorité des mots, autant la musique hongroise renvoie plus à la vibration et les émotions internes. Les cœurs sont chauds, un peu comme dans la culture marocaine.

Comment on devient chanteur d’opéra ?

C’est beaucoup de travail et de discipline, mais c’est une passion d’abord. J’ai commencé avec une toute petite voix, et au départ, je croyais que l’opéra n’était pas pour moi avant que ma première prof m’encourage à aller dans ce sens.

On est obligé de parler plusieurs langues pour être chanteur d’opéra ?

Il faut comprendre, savoir prononcer, c’est sûr. Et l’idéal serait de parler couramment. J’ai fait beaucoup d’allemand et je projette d’apprendre l’italien. Avec mon frère, on parle français, hongrois et arabe. J’ai vécu 3 ans en Chine, donc, j’ai appris le chinois, puis, en France, j’ai appris l’anglais.

Quels sont les personnages que vous voudriez incarner à l’opéra?

On m’a proposé pour l’année prochaine le rôle de Don José, dans Carmen, ce personnage m’attire parce que c’est un méditerranéen avec un caractère typé, marocain, andalou. Cela dit, ça demande beaucoup d’engagement physique et vocal et c’est un peu tôt pour ma voix, donc, je vais probablement refuser, mais c’est un des personnages que j’aimerais bien chanter. Il y a aussi Othello de Verdi qui m’intéresse, c’est un personnage maure très passionné qui chante la jalousie et l’amour de manière très intense, donc, il faut s’exprimer de manière très ancrée dans son corps, avec une voix plus sombre et puissante, et à 28 ans, on est très frais dans sa manière de s’exprimer. Accepter de faire des premiers rôles pour servir son égo, dessert la musique et l’opéra. Il ne faut pas aller très vite. En septembre dernier, j’ai incarné Ottavio dans Don Giovanni de Mozart. Je refais Tamino dans la flûte enchantée de Mozart, c’est un compositeur horriblement difficile, mais on apprend à chanter et à s’exprimer clairement.

Quels sont les maîtres qui vous ont marqués ?

Il y a d’abord Valérie Fayet, mon prof en direction de choeur, à Nantes, c’est quelqu’un de grand spirituellement, qui me faisait voir la partition comme personne puis, mon prof de chant. Pour moi, un maître, c’est quelqu’un qui vous plonge dans la passion, et on a envie de donner toute son âme, de découvrir.

Quels sont vos idoles ?

Pavarotti bien sûr et Jonas Kaufman. C’est un ténor allemand très intelligent, parce que souvent, on associe le ténor au chanteur bête qui arrive sur scène et qui chante fort. Or, Jonas joue beaucoup avec sa voix, je trouve que c’est un artiste accompli. Il m’inspire d’une certaine façon.

Vous vous sentez plus marocain ou plus hongrois ?

Physiquement, je suis marocain, de coeur aussi, je suis né ici, à Rabat, mais, toute mon éducation musicale, c’est ma mère qui me l’a donné, qui est hongroise, et je vais souvent en Hongrie, j’adore ce pays, sa culture, et je trouve que les deux pays se ressemblent beaucoup, dans les rapports humains entre individus, dans les rapports familiaux, c’est du 50-50. De cœur, je suis les deux.