Mohamed Hakoun, La mémoire vivante de Chefchaouen.

'Né à Chefchaouen, en 1946, l’artiste peintre et photographe Mohamed Hakoun est sans doute l’une des figures les plus attachantes de la cité bleue. L’amour inconditionnel qu’il porte pour sa ville natale et qui l’habite depuis sa plus tendre enfance l’anime au quotidien et le pousse à transposer instinctivement sur ses toiles aux couleurs chatoyantes, l’authenticité des paysages et des visages de l’Eden du rif. Passionné de photographie et de dessin depuis l’âge de 13 ans, il peint de toute son âme Chaouen à l’aquarelle sous toutes ses coutures. En 1968, il expose pour la 1ère fois en Espagne et se fait l’ambassadeur de sa ville à l’étranger. Ferronnier de métier, il choisit de tout plaquer pour se consacrer à la peinture et décide de se donner corps et âme pour concrétiser son rêve d’enfance, celui de transformer sa maison en un musée vivant entièrement dédié à sa ville natale. Des années plus tard, le résultat est éloquent : Plus de 8000 photographies de la cité bleue immortalisées sur les murs de sa maison, racontant depuis le 1er cliché pris par les photographes espagnols pendant la période coloniale, la vie des anciens quartiers, les souks, les mosquées et les personnages qui ont marqué Chefchaouen. En vrai collectionneur d’images, il crée la Centre de la mémoire de Chefchaouen (ouvert au public le 13 mai 2014), les seules et uniques archives de la ville, toujours avec la même envie de vouloir capter le réel et arracher au temps l'oubli des êtres et des choses.'

L’Observateur du Maroc : À quand remonte votre passion pour la peinture?

MOHAMED HAKOUN : J’ai été initié aux bases du dessin à l’école Moulay Ali Berrachid, avec un prof espagnol, Don Manuel. Après, je me suis essayé aux couleurs, une passion que je partageais d’ailleurs avec un copain de classe, le peintre Saïd El Haoulani. A l’âge de 13 ans, j’ai commencé à vendre mes dessins au seul bazariste de la ville Haj Ahmed Zitan. Quelques années après, je suis parti avec Saïd en Espagne où j’ai développé ma passion pour la peinture et où j’ai exposé plusieurs fois (Cordou, Barcelone, Iles baléares, province de Valence,…).

Comment vous est venue l’idée de transformer votre maison en musée vivant ?

L’idée m’habite depuis tout petit. Quand j’étais en France, j’avais effectué des stages en électricité, bâtiment, menuiserie, mosaïque, mathématiques, c’est ce qui m’a aidé en partie à construire les meubles de mon salon, d’ailleurs, j’ai décoré moi-même l’ensemble des pièces. Pour moi, c’est un rêve qui se réalise et c’est en grande partie grâce au soutien de ma chère femme.

Et pour ce qui est des photographies ?

Certaines photographies sont de moi, d’autres sont des 1ers photographes qui sont arrivés à Chefchaouen pendant l’occupation espagnole, (Garcia Cortès, Bartolomé,…). Avant, les murs étaient couverts de peinture, mais en collant des photos un peu partout, je voulais faire rentrer un peu Chaouen chez moi. Ce n’est pas un collage hasardeux, il respecte une logique et renvoie à une thématique puisqu’il raconte une histoire. J’ai commencé en 1996, et je n’ai pas encore fini. Ça se renouvelle en permanence.

Pourquoi ce renouvellement permanent de la décoration, Que cherchez-vous exactement ?

Je suis un grand amoureux de Chefchaouen, les gens, les visages, les habits, les paysages, m’inspirent énormément. Chaque jour, je découvre des choses nouvelles. Chefchaouen coule dans mes veines, elle a toujours été ma muse et je continuerai à la promouvoir jusqu’au dernier souffle de ma vie.

Vous avez exposé en Espagne, en Grande Bretagne, en Hollande, en France, au Portugal et dernièrement en Egypte…et très peu au Maroc. Quel est votre sentiment ?

Un manque de reconnaissance. Ici, il n’y a aucune aide pour les artistes, ce qui n’est pas le cas à l’étranger. J’ai exposé pour la 1e fois à Chaouen en 1962 à l’occasion de la naissance de l’association des amis de Mouatamid, et depuis, j’ai exposé une fois à Rabat, sinon, j’expose presque trois fois par an dans ma ville natale. Un hommage m’a été rendu lors de la 7e édition du festival Alegria, mais c’est tout.

[caption id="attachment_11705" width="400"] Le Centre de la mémoire de Chefchaouen.[/caption]

Vous parvenez à vivre de votre art ?

Non, on ne vit pas de son art au Maroc. J’ai d’autres ressources financières. Cela dit, la vente des tableaux me permet de vivre amplement mon rêve et de continuer à décorer en permanence ma maison et lui donner vie.

Vous venez de créer le Centre de la mémoire de Chefchaouen (Fondation Mohamed Hakoun).

Ce projet est l’idée du conseil municipal qui m’a fourni le local pour que je puisse y déposer tous les documents que j’avais chez moi à la maison, et en faire profiter le maximum de gens. Ces archives constituent l’unique mémoire de Chefchaouen, elles abritent des livres, des vidéos, des documents et des photos rares d’une valeur inestimable -environ 14 000 photos des habitants de la ville-, comme le 1e cliché pris dans les années 20 par les premiers photographes espagnols (Don Mariano Bertucci, Francisco Garcia Cortès, Bartolomé,…) ❚