Bagdad, deuxième Beyrouth ?
NOURI AL MALIK

La poussée des djihadistes de l’Etat islamique en Irak et au Levant (Isis ou EIIL ou Dach…), qui menacent désormais Bagdad a stupéfait le monde entier. Par définition, les terroristes cherchent à terroriser. Les suppôts d’Al Qaïda s’y emploient activement. Ils se vantent de crimes de guerre en masse et entretiennent une réputation de cruauté inhumaine. C’est efficace puisque les soldats de l’armée régulière se débandent devant l’ennemi et abandonnent le terrain et le matériel aux insurgés. La pseudo guerre-éclair a été davantage menée en égorgeant les prisonniers sur internet qu’à coups de victoires obtenues sur les champs de bataille. Le problème est politique et moral, plutôt que militaire. Etre sidéré n’aide pas à être clairvoyant, c’est même le contraire. C’est sans doute pour cela que le retour de l’Irak à la une de l’actualité suscite tant de contrevérités. Il y a les moralistes dont le réflexe incurable est de chercher à qui la faute. Ils n’ont que l’embarras du choix. Les Turcs continuent d’accuser Bachar el Assad de souffler sur les braises islamistes et de manipuler Isis, sans réaliser que les djihadistes ont d’ors et déjà atteint leur but en se taillant un émirat en Irak et au Levant… Les Européens préfèrent s’en prendre aux Américains, coupables d’avoir mis l’Etat irakien par terre avec George Bush (nombreuses railleries en France en apprenant que le porte-avions George Bush et son escadre ont franchi le détroit d’Ormuz…) et de les avoir abandonnés à leur sort avec Barack Obama (« Nous laissons derrière nous un Irak souverain, stable et autonome », décembre 2011). Qu’ils en fassent trop ou pas assez, les Américains feraient mal, incapables d’assumer leurs responsabilités. C’est vrai que le rêve des néoconservateurs était inepte et que la guerre menée au terrorisme a précipité la menace qu’elle prétendait conjurer. C’est vrai aussi que la politique de contre-insurrection (« le surge ») se solde par un échec retentissant et n’a servi qu’à habiller la démission d’une armée pressée de rentrer chez elle… L’Arabie Saoudite et le Qatar accusent le gouvernement de Nouri al-Maliki d’avoir marginalisé la minorité sunnite au point de la rendre enragée. C’est vrai que le mo i s d erni er encore, le Premier ministre annonçait les résultats des élections et se félicitait qu’elles se soient déroulées sans violence alors que les partis sunnites les avaient boycottées. Il y voyait même une gifle pour le terrorisme, Al Qaïda et l’Isis ! Cela signifiait précisément le contraire : les Sunnites modérés, les anciens baasistes, les partis démocratiques et les forces laïques, liées par des solidarités tribales ont décidé de laisser agir les djihadistes d’Isis avec lesquels ils ont noué toutes sortes de solidarités tribales… Cela rappelle l’Afghanistan. Le taliban y est souvent un pachtoun en colère. Le djihadiste en Irak est souvent un sunnite qui prend sa revanche, après avoir subi un régime corrompu jusqu’à la moelle et d’un sectarisme aveugle (300 000 morts dans les attentats depuis la chute de Saddam Hussein !) Plutôt qu’à se saouler d’indignation ou d’amertume, les opportunistes cherchent à profiter de l’occasion. Les Kurdes ont mis la main sur Kirkuk et ses puits de pétrole qu’ils convoitaient depuis longtemps et qui assurera demain, à la nation kurde les moyens de son indépendance. Les Iraniens qui négocient à Vienne l’abandon de leur programme nucléaire secret ont trouvé en Irak un moyen d’approfondir le dialogue balbutiant avec les Américains. Un ennemi commun rapproche davantage qu’un ami commun. Téhéran rêve d’être enfin traité en partenaire stratégique par les Etats-Unis. Un premier pas encore timide mais attendu depuis la Révolution islamique de 1979 vient d’être franchi vers le « Great bar gain » qui reconnaitra aux Perses un rôle de puissance régionale… Bagdad n’est pas prête de tomber aux mains des insurgés qui l’approchent comme Kaboul s’était livrée aux talibans. Le précédent qu’on redoute est plutôt Beyrouth, la fracture de la capitale entre quartiers chiites et sunnites tout au long d’une ligne verte. Le nettoyage ethnique qui se prépare pourrait laisser imaginer qu’une fatalité condamne l’Irak à être au coeur de l’actualité. On aurait tort de le croire car rien n’assure que l’Irak continuera d’exister dans un an. Sur l’arc chiite qui court de Byblos à Kab ou l , toutes le s f ro ntières ta illées il y a un siècle sont en train de lâcher ❚