Le Maroc et l’agenda qatari
Responsables marocains et qataris lors de la cu00e9ru00e9monie de signature, en juillet dernier, du programme exu00e9cutif du mu00e9morandum du2019entente conclu entre le Royaume du Maroc et lu2019Etat du Qatar.

La visite officielle du Cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani au Maroc en décembre 2013 a marqué un tournant historique dans la coopération économique, technique, scientifique et fiscale maroco-qatari. La signature du mémorandum d’entente entre les deux États a permis de débloquer pas moins de 1,25 milliards de dollars de financement au profit d’un vaste portefeuille de projets. Cela va de l’édifice de nouvelles infrastructures à la remise à niveau de l’enseignement, en passant par l’expansion du tourisme et le développement de l’économie numérique. Cette enveloppe correspond à la quote-part du Qatar dans les 5 milliards de dollars promis par le Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Le Maroc et les pays du Golf n’en sont pas à leur premier coup d’essai en matière de coopération fructueuse puisque la création de Wessal Capital en 2011, fonds syndiquant les plus grands calibres de la région du Golfe aux côtés du Fonds marocain du développement touristique (FMDT), a permis de lancer des projets pharaoniques à l’instar de Wessal Casablanca Port ou Wessal Bouregreg. Dernier événement en date, l’État du Qatar a octroyé, le 22 août 2014, un don de 136 millions de dollars au Maroc afin de financer deux projets agricoles, portant sur l’irrigation du périmètre Asjen (province d’Ouezzane) et l’organisation de la transhumance dans les parcours saharien et semi-saharien dans les régions de Sous Massa Draâ et Guelmim Es-Smara. Le premier projet permettra d’équiper nos agriculteurs des dernières techniques d’irrigation en goutte-à-goutte afin de créer des économies considérables en eau. Le deuxième permettra d’aménager et d’équiper des parcours de 16 millions de hectares facilitant par là la création de réserves pastorales. D’un point de vue social, pas moins de 300 emplois directs, 1,2 millions d’emplois indirects au niveau des chantiers seront créés à cette occasion. Sans oublier l’amélioration des conditions d’accès aux services sanitaires pour 3.000 familles. La communication du ministère de l’Agriculture fait part d’un deal avantageux pour le Maroc. Mais quelles seraient les véritables motivations de ce geste généreux ? S’agit-il d’un don ou d’un investissement pour lequel le Maroc devra assurer une contrepartie ? En tout état de cause, Ali Sharif Al Emadi, ministre de l’économie de l’état du Qatar envisage les choses d’un autre point de vue. Bien qu’étant le premier exportateur de gaz naturel liquéfié avec une croissance économique moyenne de 14% sur la dernière décennie et un PIB par habitant de plus de 100.000 dollars américains (le plus élevé au monde), le Qatar reste une petite péninsule aride d’environ 11.571km2 (soit environ 26% de la superficie du territoire marocain) peuplée de quelques 1,8 million d’habitant. Cette faiblesse à la fois géographique et démographique condamne le Qatar à importer près de 90% de ses denrées alimentaires. Ce pays est bien conscient que ses ressources en gaz ne sont pas infinies et s’est fixé comme objectif d’anticiper l’après hydrocarbures en menant une stratégie d’investissements diversifiée. Outre la finance, l’immobilier et le tourisme haut de gamme, ce petit État s’est d’ores déjà placé sur des créneaux d’investissements stratégiques comme l’énergie solaire ou l’agriculture afin d’assurer sa sécurité alimentaire et limiter sa dépendance aux hydrocarbures via le Qatar National Food Security Programme. En apparence, tout paraît limpide. Sauf qu’en mars dernier, un autre élément s’est ajouté à l’équation. Une tempête sans précédent est venue sonner le glas de relations diplomatiques historiquement indéfectibles au sein du CCG. L’Arabie Saoudite, le Bahreïn et les Emirats arabes unis ont décidé de rappeler leurs ambassadeurs respectifs à Doha en raison des « ingérences » du Qatar dans les affaires régionales : le soutien politique apporté aux Frères Musulmans, l’offensive acharnée de la chaîne télévisée qatari Al Jazeera, le maintien de relations diplomatiques ambigües avec Téhéran, le désaccord sur l’affaire syrienne…

Le Maroc réussira-t-il malgré tout à exporter une part de sa production agricole vers le Qatar ?

Peut-être les agrumes, mais pas les céréales dont le Royaume produit en moyenne 15 quintaux/hectare, soit 8 fois moins que l’Europe. Ce qui ne permet au pays de satisfaire que 60% de ses besoins, selon les chiffres du ministère de l’Agriculture. Ainsi, près de 2,7 milliards de dollars (18 milliards de dirhams) ont été réservés aux importations de céréales en 2012. Même avec un budget colossal alloué aux investissements dans le but de créer une production agricole intensive, la superficie des terres cultivables reste pour le moins très limitée : 8.7 millions d’hectares de surface agricole utile, selon les statistiques du département de l’Agriculture (chiffre e 2012). En tout cas, l’investissement du Qatar reste une manne financière non négligeable s’agissant d’un secteur aussi prédominant que l’agriculture qui emploie plus de 40% de la population active. Mais, dans le contexte actuel, il est clair que les dissensions viscérales qui déchirent le CCG ont mené vers une course au leadership entre les pétromonarchies du conseil, menant chacune sa propre guerre d’influence économique, politique et religieuse. Le Qatar, quant à lui, a prouvé une nouvelle fois sa détermination à poursuivre ses efforts qui lui ont garanti jusquelà un rayonnement international incontesté. Le Maroc, saura-t-il tirer son épingle du jeu ? L’avenir le dira ❚