Bahaa Trabelsi « Mon nouveau roman est un polar sur notre rapport aux libertés »
Bahaa Trabelsi, au cafu00e9 littu00e9raire du Sofitel Casablanca Tour Blanche, premier rendez-vous mensuel de 2015.

'Après avoir reçu le Prix Ivoire 2014 pour la Littérature Africaine d’Expression Francophone, pour son recueil « Parlez-moi d’amour », Bahaa Trabelsi prépare un nouveau roman aux allures de polar.'

Lorsque Bahaa Trabelsi parle d’amour, elle le fait avec beaucoup de cristallisation et d’empathie. Ses personnages, tous en quête d’amour, qu’ils soient pervers, effrontés, libertaires, anticonformistes ou contradictoires, restent malgré tout humains. Son écriture à la fois fluide, crue et profonde ne laisse pas indifférent. « L’amour, nous confie t-elle, c’est quelque chose qui nous échappe complètement, c’est magique, irrationnel, et derrière mes histoires, il y a des valeurs universelles, il y a l’être humain d’abord ». Une recette qu’elle applique à son nouveau roman, une sorte de polar qui questionne notre rapport aux libertés et la manière dont nous sommes musulmans, nous les Marocains, et dont la sortie est prévue fin 2015.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique. Vous avez remporté le prix Ivoire 2014. Quel est votre sentiment ?

Je suis très contente et fière parce que le Maroc l’a remporté pour la 1ère fois, c’est un prix international qui a beaucoup de valeur. Je suis très contente de l’avoir eu pour moi et pour le Maroc.

Après le succès de vos trois romans, vous vous essayez aux nouvelles. Pourquoi ?

Parce que c’est un exercice dix fois plus difficile que le roman. J’ai mis beaucoup de temps à les écrire, parce qu’elles doivent être concises, et avoir une chute. C’est comme un petit roman, une tranche de vie, un instant, un moment, c’est des instantanés, et c’est très difficile d’écrire des instantanés, beaucoup plus que de se mettre dans un fleuve d’un récit romanesque

Justement, pourquoi ce besoin d’expérimenter ce genre ?

C’était le moment pour moi de le faire. Par rapport à l’écriture, j’avais envie de faire quelque chose de très précis, au niveau du choix des mots, du déroulement du récit, et la nouvelle est un très bel exercice pour ça, c’est une belle préparation pour le roman que j’écris en ce moment.

Vous serez toujours fidèle à la thématique de l’amour ?

Ce n’est pas toujours la même thématique, par rapport à mes 3 autres romans, ce n’était pas des histoires d’amour, mais plutôt des histoires de société, et le prochain, pareil, il est très particulier, parce qu’il a un petit côté polar.

Est-ce qu’il sera question d’amour ?

On ne peut pas écrire des romans sans parler d’amour, je crois que dans ce dernier, il y aura bien sûr de l’amour mais il y aura d’autres questionnements, par rapport aux libertés, et par rapport à la manière dont nous sommes musulmans, nous les Marocains. La sortie est prévue fin 2015.

Justement, comment vous nous voyez, nous les Marocains ?

On est né dans un pays de tolérance, d’ouverture, de beauté, de civilisation, quand on parle d’islam. On n’est pas né dans un pays de coercition, ou de manque de liberté. Je me souviens quand j’étais gamine, la meilleure amie de ma mère était juive, dans mon quartier, tout le monde vivait ensemble et était heureux de vivre, personne ne jugeait ni condamnait les autres, comment en sommes-nous arrivés là ?

Que pensez-vous des derniers événements liés à Charlie Hebdo ?

Je suis une inconditionnelle de la liberté d’expression. Ça ne veut pas dire qu’on est d’accord sur un contenu, mais tout le monde a le droit d’écrire, de dire ou de créer ce qu’il veut. Chacun a le droit d’avoir son point de vue, on ne va pas tuer les gens pour leur point de vue ! Les gens qui disent « Je ne suis pas Charlie » n’ont pas compris qu’en disant, « je suis Charlie », ça veut dire : je suis d’accord avec ce qu’il fait ou écrit, mais plutôt : je suis pour la liberté d’expression. Le reste, c’est du débat, c’est la pluralité, la diversité, et c’est dans cette diversité qu’il y a la richesse des sociétés. Quand on vit en France, un des premiers principes de cette république, c’est la laïcité, alors, il faut s’adapter. Je me demande où est l’amour dans tout ça? Dans l’amour, il y a la tolérance, l’écoute, le non jugement, la sublimation, mais là, on est dans des espèces de guérillas meurtrières, des rivalités…

On vous taxe souvent d’écrivaine anti-tabous qui cherche à provoquer ?

Je ne suis pas anti-tabous, je ne cherche pas à provoquer, je raconte des histoires. Si on trouve que mes histoires sont provocantes, ça veut dire que l’effet miroir de mes histoires n’a pas opéré, et qu’on n’arrive pas à se regarder en face. Je ne suis pas provocatrice, je suis plutôt lisse et mes récits sont fluides, je raconte des histoires qui existent et qui sont très proches de la réalité.

Pour « Vie à trois », une fatwa a même été édictée contre vous.

Ils n’ont rien compris à ce que je raconte, d’ailleurs, ça ne m’a pas découragé, je pense que c’est une erreur, parce que j’ai toujours raconté des histoires derrière lesquelles il y a des valeurs universelles, il y a l’être humain d’abord, et un être humain, ça a des failles, des revers, des contradictions, de la vie. Quand on raconte des histoires sans vie, c’est comme si on n’écrivait pas. Toutes mes histoires, ce sont des tranches de vie d’êtres humains, qui ont vécu et qui vivent encore.

Est-ce qu’il y a une part d’autobiographie dans vos écrits ?

Un écrivain qui dit qu’il n’y a pas d’autobiographie dans ses livres, c’est un menteur. Même quand tu racontes une histoire, tu la racontes avec tes tripes, ton être, ton vécu. Ça fait partie de l’écriture en général, quel que soit l’auteur, même dans la Science Fiction.

En tant qu’écrivaine, qu’est ce qui vous frustre ?

Le fait de ne pas écrire en arabe. J’aurais touché beaucoup plus de gens, parce que les gens lisent plus en arabe qu’en français ✱