Libre cours
Naim KAMAL

Le 15 juin, le premier ministre français, Manuel Valls avait présidé la première réunion de « l’instance de dialogue avec l’islam de France », à la recherche d’une nouvelle façon de faire avec l’Islam de l’hexagone « qui y est pour rester ». Il a, à cette occasion, invité tout un chacun à prendre

ses responsabilités pour « mener [ce] combat des consciences, et faire jaillir au
grand jour ce qu’est la réalité de l’islam » français. Au-delà des remarques que j’ai soulevées dans la chronique de la semaine dernière, une nouvelle démarche est effectivement nécessaire pour reconstruire le « Je-suis » musulman perdu dans les banlieues des grandes villes européennes et les bidonvilles des périphéries des cités des pays musulmans. Ce n’est pas une mince affaire car il s’agit de remettre
à l’endroit ce qu’Ahmed Abbadi, secrétaire général de la Ligue Mohammadia des Oulémas, désigne comme les quatre rêves qu’exploitent Daech et ses semblables pour recruter parmi la jeunesse d’ici et d’ailleurs : le rêve de pureté, le rêve de dignité, le rêve d’unité et le rêve de salut (cf. Libre cours dans L’Observateur du
19 au 25 juin).

Des pays, le Maroc en tête, se déploient pour trouver la parade religieuse, à travers une démarche intégrée comprenant le sécuritaire, le social et le politique pour produire une nouvelle génération d’encadreurs et vulgarisateurs. Elle a pour mission de déconstruire le discours jihadiste idéologiquement et financièrement soutenu par un wahabisme paradoxalement d’autant plus complexe et compliqué qu’il est simpliste. Ces nouveaux prêcheurs de l’Islam du juste milieu et de la modération ne peuvent être efficaces et fructueux que si leur formation rompt radicalement avec les archaïsmes, le langage et les façons d’être et de faire de nos vénérables oulémas traditionnels qui occupent nos conseils supérieurs et régionaux du même nom. Des prêcheurs modernes à défaut d’être modernistes, jeunes et vigoureux, en phase avec leur temps et ses technologies, bien en possession des enjeux de leurs missions, sont seuls capables de faire jeu égale avec les doctrinaires jihadistes. Plus facile à dire qu’à faire sans doute. Mais il faut bien commencer et la Ligue Mohammadia des Oulamas du Maroc semble emprunter cette voie. Encore que ces démarches et approches ne valent que pour le territoire national. Les contrées occidentales nécessitent des qualifications supplémentaires en rapport avec la langue et la connaissance de sociétés qui leur sont totalement étrangères.

Le sociologue maroco-français, membre du Conseil de la Communauté Marocaine à l’Etranger (CCME), Driss Ajbali, avait provoqué un injuste tollé lorsqu’intervenant à Strasbourg devant le Parlement européen, il a déclaré que « l’Islam en Europe est un Islam de pauvres et d’ouvriers qui cherche de l’argent ailleurs, un Islam inculte, un Islam balkanisé, un Islam urbain, qui
se traduit par une absence de repères où émerge aussi un Islam du Web et son cheikh Google avec toutes les conséquences néfastes qui en découlent. » Il est
vrai qu’on peut en dire, au moins en partie, autant de l’Islam de nos périphéries
et de certains de nos centres-villes. Mais ces similitudes, fussent-elles partielles, s’estompent sérieusement lorsqu’on leur ajoute la déconnexion linguistique et socio-environnementale de l’immigration musulmane en Europe. C’est à travers cette appréhension que l’on saisit mieux les réserves d’Ahmed Boutaleb, maire d’origine marocaine de Rotterdam, sur « l’importation d’Imam du Maroc ». A. Boutaleb ne conçoit pas que l’on fasse venir des Imams du Maroc qui ne savent pas communiquer avec la jeunesse musulmane des Pays-Bas dont une majeure partie ne parle pas l’arabe. Nul ne peut contester la pertinence du constat et il serait plus judicieux de recruter et de former ces imams, comme il l’appelle de ses vœux, dans les rangs de la communauté musulmane des pays d’accueil.