Syrie-Russie : Le grand jeu de Vladimir Poutine
Mireille DUTEIL

Que veulent les Russes en Syrie ? Faisons un peu d’Histoire. Leur présence n’est pas nouvelle. C’est en 1971 que Moscou signait avec Hafez el-Assad, le père de Bachar, militaire tourné vers l’URSS comme l’était une majorité du monde arabe à l’époque, un accord qui permettait à la flotte soviétique de bénéficier de facilités navales à Tartous, sur la côte méditerranéenne. Un accord essentiel pour Moscou. Les Russes n’ont plus d’autre port d’attache en Méditerranée depuis que le Président Sadate a renvoyé les Soviétiques d’Egypte, en 1972.

Voilà donc près d’un demi-siècle que les Soviétiques, puis les Russes, sont présents en Syrie. Ils détenaient une dette militaire importante à Damas, qui fut, en partie, soldée par les Iraniens. Ces dernières années, Moscou gardait cependant un profil bas. La Russie fournissait de l’armement mais ne voulait pas s’impliquer directement dans la guerre entre le régime et son opposition. Iraniens et Hezbollah «faisaient le job», selon la formule américaine.

Pourquoi ce changement de stratégie de Poutine qui, accusent les Américains, envoie à Damas du matériel militaire lourd (chars), des conseillers techniques (Moscou réfute l’envoi de forces combattantes) qui construisent une longue piste d’atterrissage vers Lattaquié et des bâtiments ? Plusieurs raisons expliquent ce virage de Poutine.

La première, factuelle, est que son allié syrien chancelle sous les coups de boutoir de Daech. La région tenue par le régime se resserre autour du centre de Damas et de la zone côtière de Lattaquié, Tartous… Poutine n’entend pas que son poulain termine comme Kadhafi. D’autant plus qu’il craint plus que tout la victoire des djihadistes. Il y voit une menace directe pour la Russie.

La deuxième raison est son échec dans le lancement d’une négociation, l’an dernier, pour trouver une issue à la guerre et combattre Daech. Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères se disait même prêt à sacrifier Bachar pour sauver le régime. Les Etats-Unis faisaient un pas inverse : ils s’accommoderaient de certains membres du régime. Les deux capitales avaient eu des pourparlers pour une future négociation. Puis tout a capoté. La crise ukrainienne a mis fin aux pourparlers russo-américains. Poutine était isolé. Pour revenir au centre du jeu en Syrie, et sauvegarder l’intérêt stratégique de Moscou au Proche-Orient, le président russe tentait, cet été, de former une nouvelle coalition contre l’Etat islamique. Son objectif : construire, autour de la Russie, un axe qui irait de Téhéran au Caire via Damas et le Hezbollah, mais aurait aussi inclus la Jordanie et l’Arabie Saoudite. Le roi Abdallah et le prince héritier saoudien ont été invités à Moscou, en août. Peine perdue. Pas question pour eux de se retrouver dans une coalition aux côtés de Bachar, même pour lutter contre l’Etat islamique. Ce fut le troisième échec de Poutine.

Le tsar de Russie n’a plus le choix. Pour rester dans le jeu, il ne lui reste plus qu’à renforcer militairement son allié syrien pour éviter une éventuelle débandade du régime. Et permettre à la Russie d’avoir voix au chapitre dans une éventuelle recomposition du Proche-Orient. « Il est prématuré de parler de l’envoi de troupes », a-t-il dit la semaine passée. Sous-entendu, rien n’est exclu pour l’avenir.