Libre cours
Naim KAMAL

Le débat sur la parité homme femme devant l’héritage déclenché presque par inadvertance par le Conseil national des droits de l’Homme a pris une ampleur qui a par moment atteint l’irrationnel. J’ai eu la semaine dernière à dire de mon simple point de vue de citoyen et de père que j’étais favorable à cette parité. En même temps, je me suis interrogé sur l’opportunité de remettre sur la table, à ce moment précis, un sujet clivant et crispant, sachant bien que la société marocaine dans ses dispositions actuelles n’y est pas prête. Le sujet me paraissait d’autant plus inopportun que les parents désireux d’établir l’égalité entre leur progéniture des deux sexes ont le moyen de contourner le commandement coranique en procédant de leur vivant à des donations. J’en connais beaucoup qui l’ont fait sans que personne ne trouve à redire et sans qu’un fquih autoproclamé ne sorte de sa tanière pour les traiter de mécréants.

D’un autre côté, il est vrai qu’on ne peut changer les situations qu’en en parlant et en agissant sur elle. Il est tout à fait légitime de considérer qu’il n’est pas normal et juste de laisser le droit des femmes à l’égalité dans l’héritage au bon vouloir des parents selon qu’ils sont passéistes ou progressistes. C’est là ma façon de dire que si je demeure sceptique sur le choix du moment pour évoquer ce sujet, je reste au fond de moi-même partagé sur la question.

Je reviens cette semaine sur le sujet parce que je suis atterré par les réactions d’un grand nombre de lecteurs sur les réseaux sociaux, et par ailleurs affligé par les prises de position de ceux qui prétendent détenir la science infuse islamique. Les premiers se contentent d’ordonner sur tous les tons vilains possibles de ne pas toucher au Saint Coran et de ne rien changer aux commandements d’Allah. Les seconds empruntent des attitudes péremptoires pour nous expliquer, du haut de leurs chaires, les intentions intimes de Dieu à travers l’octroi de deux tiers aux garçons contre un seul pour les filles. Ils se livrent ensuite à toute une exégèse sur l’impossibilité de modifier quoi que ce soit aux énoncés clairs des commandements divins sous peine d’apostasie. Désolé, mais si les choses sont ainsi, Omar Ibn Khattâb, grand compagnon du prophète et deuxième calife de l’Islam est doublement un apostat.

Une première fois quand il a aboli l’amputation de la main du voleur. Car il avait bien compris que c’était une pratique qui créait un handicap pour la société plus qu’elle ne punissait le coupable. Une deuxième fois lorsqu’il a mis fin au versement de la zakate (impôt au profit des moins nantis) aux mou’alafati kouloubouhoum, une catégorie de musulmans à la foi faible, hésitante ou inexistante. Par ce versement, l’Islam naissant cherchait à s’attirer leurs faveurs afin de renforcer ses rangs. Une fois l’objectif atteint, Omar Ibn Khattâb considéra que cet usage n’était plus nécessaire. Il suggéra l’idée à Abou Bakr Seddik, premier calife après le prophète, qui approuva.

Malheureusement, même avec ces faits à l’appui, je vais encore me faire traiter de tous les noms. A tous ceux qui m’insulteront, je leur dis d’avance que je ne leur en veux pas. Ils n’ont tout simplement pas compris que si la terre de l’Islam est si en retard, c’est parce que beaucoup de musulmans n’ont pas atteint l’intelligence d’Ibn Khattâb, mort il y a plus de quatorze siècles, et continuent de voir le monde avec des lunettes qui datent d’avant le décès du prophète.