L'Iran va-t-il changer la donne avec le défilé de responsables israéliens à Washington ? Opinion

De l’avis général en Israël, les États-Unis se précipitent imprudemment vers un accord avec l’Iran.

Même les observateurs israéliens les plus aguerris aux États-Unis ne se souviennent pas avoir vu autant de fonctionnaires du renseignement et de l’armée arriver à Washington en même temps.

Mais c'est exactement ce qu’il va se passer lorsque l'un après l'autre, le chef d'État-major de Tsahal, le lieutenant-général Aviv Kohavi, le chef du renseignement militaire Tamir Hayman, le directeur du Mossad Yossi Cohen et le chef du Conseil national de sécurité Meir Ben-Shabbat vont se rendre dans la capitale américaine pour s'entretenir avec leurs homologues américains.

Pour certains, cela rappelait les fréquentes visites que les hauts responsables de l'administration Obama avaient effectuées en Israël en 2012. Les États-Unis craignaient alors qu'Israël attaque les installations nucléaires iraniennes. Alors, chaque semaine, ils envoyaient un haut responsable pour suivre la situation. Le secrétaire à la défense a effectué le déplacement et même le chef de la CIA en a fait de même. Tous voulaient calmer les esprits en Israël.

Cette fois, c'est Israël qui éprouve des craintes. Pas sur les répercussions d'une attaque américaine contre l'Iran - ce qu'on ne peut qu'imaginer - mais d'une capitulation américaine complète face à l'Iran et d'un retour au JCPOA de 2015 (note dubtraducteur, l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien ou plan d'action conjoint, en anglais «Joint Comprehensive Plan of Action») avec zéro réajustements ou des réajustements mineurs.

De l’avis général en Israël est que l’Amérique se précipite imprudemment vers un accord avec l’Iran. Certains responsables affirment, en privé, que le président Joe Biden «frétille d’impatience» pour l'accord. Quels que soient les mots descriptifs utilisés, les États-Unis sont déterminés à clore le dossier de l'Iran.

Certains responsables israéliens déclarent comprendre pourquoi : la Russie réunit ses troupes le long de la frontière avec l'Ukraine, les tensions montent avec la Chine, et la guere quotidienne contre le coronavirus fait toujours rage, avec les récentes augmentations des cas et des hospitalisations malgré la vaccination quotidienne de millions d'Américains.

Lors des pourparlers à Washington chacun prendra la parole à part : Kohavi rencontrera le général Mark Milley, président des chefs d'état-major interarmées; Hayman et Cohen rencontreront le directeur de la CIA William Burns; et Ben-Shabbat rencontrera le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan.

Jusqu'à présent, Israël n'a pas réussi à amener les États-Unis à tenir compte de ses conseils, et le mieux qu'il puisse espérer pour l'instant est d'amener Biden à accepter certaines améliorations de dernière minute avant qu'il ne soit trop tard.

La situation est similaire à celle de 2015 lors de la préparation de la finalisation du JCPOA. A ce moment-là, les responsables israéliens s’étaient envolés pour Washington pour rencontrer leurs homologues américains afin de discuter spécifiquement la menace iranienne. Jacob Nagel, alors conseiller adjoint à la sécurité nationale, dirigeait la délégation d'experts israéliens du ministère des Affaires étrangères, du NSC, de Tsahal, de la Commission de l'énergie atomique et du Mossad.

Chacune de leurs réunions s'est ouverte avec ce qui est devenu plus tard connu sous le nom de «discours de Nagel» portant explication, dans chaque réunion, de certains des problèmes liés à l'accord programmé.

«Il ne s’agissait pas de dire aux Américains ce qu’ils devaient faire ou ne pas faire, mais d’expliquer certains des problèmes qu’ils ne devaient pas occulter», a expliqué un responsable qui a participé à ces pourparlers. «Nous voulions qu'ils comprennent clairement ce qui se passerait s'ils poursuivaient ce qu'ils prévoyaient de faire.»

Israël essaiera d’en faire de même maintenant, en espérant que cela tombe sur une oreille plus attentive cette fois-ci. Dans l'accord JCPOA, Israël n’a appris qu’il y avait des pourparlers avec l'Iran qu’après leur commencement. Aujourd’hui, Israël savait depuis un certain temps que Biden était déterminé à réengager le dialogue avec l'Iran après son entrée en fonction, mais il pensait initialement qu'il rencontrerait plus de sympathie. En effet, des hauts responsables de l'administration américaine ont annoncé très tôt qu'ils consulteraient Israël et travailleraient en collaboration avec son gouvernement. Dans leur approche, les Américains sont actuellement confrontés à deux options.

La pire possibilité est de retourner immédiatement au JCPOA et de pousser l'Iran à se conformer aux restrictions. L’autre possibilité, comme l'a clairement indiqué le secrétaire d'État Antony Blinken, consisterait à œuvrer pour améliorer l'accord et le rendre «plus long et plus consistant».

Cette potentialité, estime Israël, serait une erreur, car il ferait perdre aux Américains - trop tôt dans le processus – toute l’influence qu’ils ont actuellement. Cela permettrait également à l'Iran de conserver les améliorations et les mises à niveau qu'il a apportées depuis qu'il a commencé à violer le JCPOA, notamment en ayant les centrifugeuses avancées qu'il a fabriquées, ce qui lui permettrait de gagner du temps pour déclenchement d’une bombe au cas où les Ayatollahs décidaient d’en construire une.

Avec les dernières technologies que possède désormais Téhéran, le régime serait capable d’enrichir de l’uranium trois fois plus rapidement qu’avec les modèles plus anciens. C'est une différence majeure.

En outre, les archives nucléaires saisies par Israël lors de son audacieux raid à Téhéran en 2018 ont révélé au monde à quel point l'Iran avait vraiment avancé dans son programme d'armement. Le JCPOA a été finalisé en 2015 avant qu’il n’y ait ces développements. Cette donne ne peut tout simplement pas être ignorée.

Le meilleur scénario pour Israël préfère est de voir l'Amérique utiliser l'influence dont elle dispose maintenant pour rendre l'accord plus long et plus contraignant, et lancer ensuite le processus.

Un effet de levier pourrait ainsi être créé comprenant le soulagement économique que les États-Unis pourraient offrir à l'Iran pour l'aider à sortir de sa crise économique actuelle, et de l’impact des coups persistants qu'il a subis au cours de l'année dernière, y compris les assassinats du commandant de la Force Qods, le général Qasem Soleimani, et du scientifique nucléaire de haut niveau Mohsen Fakhrizadeh. Sans oublier le sabotage récent à l'intérieur de l'installation d'enrichissement de Natanz.

Selon Jérusalem, c'est maintenant que le monde doit garder le pied sur les puits de pétrole.

Les Américains seront-ils convaincus ? Les chances ne sont pas considérées comme élevées. Et bien que Biden ne soit pas Obama, prendre le téléphone et demander au président de simplement changer de cap n’est plus possible.

Les Américains essaient de convaincre Israël autrement, en l’invitant à regarder l'Iran à travers un prisme plus large. Celui qui comprend non seulement le programme nucléaire lui-même, mais aussi le rôle régional négatif de Téhéran et son soutien aux mandataires des terroristes. L’accent est également mis sur la nécessité pour Tsahal de conserver la liberté opérationnelle en Syrie.

L'importance de cette liberté opérationnelle a été illustrée lorsque Damas a lancé un missile qui est tombé près de Dimona et que l'armée de l'air israélienne a riposté en frappant des cibles près de la capitale.

L'idée derrière ce plus grand prisme est venue lors de la précédente série de pourparlers, par vidéoconférence, entre Ben-Shabbat et Sullivan. Jusqu'à présent, Israël rejette cette option, insistant sur le fait que la question nucléaire doit être examinée à part. Israël souhaiterait ensuite voir les autres menaces que l'Iran fait peser dans la région abordées. L’idée est que les actions ne sont pas interchangeables.

L’envoi simultané de hauts responsables du renseignement et de l’armée israéliens à Washington envoie sans aucun doute un message d’urgence - mais c’est aussi le signe d’un dysfonctionnement.

Il est bien sûr tout à fait normal que les chefs militaires se parlent régulièrement et que les chefs du renseignement en fassent de même.

Mais qu'en est-il des discussions au niveau politique ? Ceux-ci semblent manquer, et on ne sait pas pourquoi. Comme on l’a vu la semaine dernière, Israël n’a pas de gouvernement opérationnel.

Les Américains le savent, tout comme les Iraniens. Il serait naïf de supposer qu'aucune des deux parties ne profite de cette situation.

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Will Iran deal change with parade of Israeli officials to DC? - opinion