Mayra Andrade, Digne héritière de Cesaria Evora

'Connue pour sa voix poétique, ses rythmiques soyeuses et ses mélodies enlevées, la chanteuse capverdienne continue d’apporter un nouveau souffle à la musique traditionnelle de son archipel.'

A 31 ans, Mayra Andrade a déjà la maturité des grandes chanteuses latines. Son dernier et 4e album Lovely Difficult, un mix de pop tropicale, actuelle et voyageuse, se joue des frontières stylistiques et linguistiques puisqu’il est écrit et chanté en 4 langues avec l'aide d'auteurs comme Benjamin Biolay, Yael Naim, Piers Faccini, Krystle Warren ou Mario Lucio Sousa. Un mélange audacieux à l’image de la chanteuse qui refuse de se cantonner dans un registre traditionnel, préfère explorer les sentiers les moins empruntés et milite pour une musique décomplexée.

Vous avez commencé à chanter à l’âge de 15 ans. Pourquoi le chant ?

C’est quelque chose que je n’ai pas choisi, c’est naturel. Je chante depuis l’âge de 4 ans, je suis autodidacte et chez nous, on fait de la musique de manière très naturelle. Cela dit, j’aime bien être loin de la musique, parfois à la fin de la tournée, je prends des vacances pour retrouver mes esprits, j’ai besoin de cette distance là pour pouvoir revenir à la musique d’une manière naturelle. Je n’aime pas avoir un rapport réfléchi même si je travaille beaucoup et que je suis exigeante avec mon équipe et avec moi-même. Il ya une part intuitive dans la musique qui doit être préservée, c’est pour cela que j’ai besoin d’être avec les gens. C’est la vie en dehors de la musique qui alimente mon envie de chanter. De plus, c’est la chose que je fais le mieux !

Vous êtes née à Cuba, vous avez vécu au Cap Vert, au Sénégal, en Angola, en Allemagne, puis à Paris. Est-ce que le voyage a forgé votre style musical ?

Ça a forgé ma façon de voir la vie et m’a permis une perméabilité à d’autres influences. Cela dit, je n’ai aucun conflit d’identité, je suis une capverdienne assez globalisée, mon parcours de vie a fait que j’ai dû m’adapter très rapidement à plusieurs cultures. En fait, je ne vois la vie que dans les différences !

Après avoir passée 14 ans à Paris, vous vous installez à Lisbonne.

J’ai quitté Paris pour Lisbonne pour me rapprocher un peu du sud et avoir une qualité de vie différente. Et puis, compte tenu de mes origines et de ma culture, au bout d’un moment, j’avais besoin de pause. Mais vous savez, Paris est une ville qui m’a marquée, ce n’est pas facile de tourner la page, de quitter un pays où on a passé la moitié de sa vie, seule. Il y a eu beaucoup de bonnes choses et des épreuves un peu difficiles, mais c’était surtout du positif. Paris est une ville qui m’a vu devenir une femme, c’est là où j’ai eu ma 1ère maison et où j’ai tout construit, j’ai eu beaucoup de chance certes, mais j’ai beaucoup travaillé. Paris m’a forgée et croyez-moi, il faut avoir la cuirasse un peu dure !

Qu’est ce qui inspire votre style musical ?

Tout m’influence, à partir de mon dernier album Lovely Difficult, je me suis connectée sur ce qui se fait à l’air du temps, cela dit, je filtre beaucoup, parce que je veux préserver une certaine identité, mais je pense qu’aujourd’hui, je me sens plus jeune qu’à mes débuts et plus à l’aise pour me frotter à des choses qui ne sont pas forcément capverdiennes et traditionnelles.

Votre dernier album est justement plus moderne.

C’est de la musique capverdienne, souvent on la confond avec la bossa et la musique brésilienne, mais ça renvoie plutôt à une émotion commune qu’on a avec la bossa, parce qu’on on a un métissage qui est semblable avec le Portugal, l’Afrique. Il y a des albums où j’ai mélangé mon identité capverdienne au jazz, aux rythmes africains, le dernier est plus moderne, plus pop où il y a un peu de reggae…

Vous êtes aussi sensible au jazz ?

Oui, ça a beaucoup influencé mon 2e album « Stória », j’ai toujours écouté du jazz et ça m’a permis de connaître une certaine liberté d’interprétation, je pense que ma liberté dans le chant vient du jazz.

Votre rencontre avec Cesaria Evora, ça vous a marqué ?

Oui, je l’ai rencontré quand j’avais 12 ans, mon beau père était ambassadeur du Cap Vert, et une fois, à la fin de son concert, il m’avait demandé d’aller sur scène pour lui emmener un bouquet de fleurs, je lui ai dit que j’étais chanteuse, elle m’a dit : « N’oublie jamais que c’est le public qui décide, s'il te met en haut, ou s'il te laisse tomber ». Quand j’ai remporté le prix de la Francophonie au Canada, à 16 ans, on a commencé à être plus amies. J’avais beaucoup de tendresse pour elle, c’était une grand-mère au destin incroyable comme on en voit beaucoup au Cap Vert, j’avais un sentiment de reconnaissance très grand pour elle et son départ m’a beaucoup marqué. C’était une femme très libre et authentique.

D’autres chanteurs cap verdiens que vous aimez bien ?

Tito Paris, Sara Tavares, Nancy Vieira, Tcheka,… j’aimerais parfois que mes collègues osent plus, parce que les Capverdiens ou le public World music a une certaine attente ; moi, j’ai besoin d’apporter quelque chose de différent, sinon, je m’ennuie, et puis, je fais de la musique pour moi et j’espère que mon public me suivra dans ma différence.

Le traditionnel, c’est fini pour vous ?

Pas du tout, un jour, je ferais un album purement traditionnel, mais ce n’est pas encore le moment, il faut encore divaguer, me perdre un peu. Je pense que le traditionnel, c’est ce que je fais le mieux, sauf que j’ai toujours voulu apporter une proposition un peu différente. Mais c’est une question de priorités, je profite de mes rencontres, de là où je vie pour apporter quelque chose de différent. Il ya toujours une jeune génération qui arrive et c’est important de créer pour elle des précédents. Moi, c’est Orlondo Frontera qui m’a montré qu’on pouvait faire quelque chose de différent. Il faut un peu se décomplexer, quand on est un petit pays, on a tendance à être un peu traditionnaliste ou protectionniste.

La dernière fois que vous avez chanté au Maroc, c’était au festival d’Alegria à Chefchaouen. Quel souvenir en gardez-vous ?

L’endroit est exceptionnel, les gens sont très sympas et accueillants, la couleur bleue évoque pour moi les vacances. Des fois, on a besoin de venir dans des endroits qui nous ressourcent.

Connaissez-vous un peu la musique marocaine ?

Pas vraiment mais j’aime beaucoup Hindi Zahra, c’est une bonne ambassadrice du Maroc. On s’est déjà croisées sur scène et à Paris, je connais sa musique, elle connait la mienne, on se respecte mutuellement, et un de mes musiciens, percussionniste, joue avec elle maintenant.