Libre cours
Naim KAMAL

La première fois que j’ai vu un spectacle de Tayeb Saddiki, c’était en 1969, au Lycée Ibn Malik à Casablanca, alors que j’avais 14 ans. Il s’agissait de «Sidi Yassine Fi Tarik», avec Larbi Batma et Omar Sayed, entre autres. En ces temps, la culture, au sens large, était une priorité du système éducatif et il n’était pas rare qu’elle s’invite à l’école, dans les maisons de jeunes. Nul ne pouvait prévoir que ce foisonnement pouvait laisser place au désert actuel. Tayeb Saddiki a entamé sa carrière au théâtre national populaire de Paris.

De retour au Maroc avec le regretté Azizi, Said son frère et le soutien de syndicalistes comme feu Tibari, il a mis sur pied la troupe du théâtre ouvrier. Cette troupe va être «pilée» de ses talents naissants, au profit de la troupe Maâmoura plus officielle. Tayeb prend la direction du théâtre municipal de Casablanca, crée sa propre troupe et régale les Marocains. Son oeuvre est colossale. Les pièces qu’il a écrites (Les Maqamates et Abou Hayane Tawhidi, par exemple), sont le reflet de sa culture encyclopédique. Il a aussi mis en scène «Al Harraz» du talentueux marrakchi Chraïbi, ou encore «Momo Boukharsa» de Abdessamad Kenfaoui. Sa maîtrise des arts populaires le mènera à diriger le Festival de Marrakech, qui, depuis, a perdu de son aura.

Saddiki était aussi un excellent calligraphe. Sa seule tentative au cinéma, le film «Zeft», n’est pas une grande réussite. Tayeb, homme de culture, doté d’un humour intelligent, était aussi un être chaleureux, généreux, très charismatique. Il nous lègue un répertoire que nos télés devraient revisiter, et que ses héritiers devraient éditer pour sa sauvegarde. Durant son parcours, il a façonné la carrière de nombreux acteurs : Boujmiî, Batma, Sayed, Saâri, Boumeghra, Moulay Tahar, Salamat, et bien d’autres sont passés par son exigeante école. Quelle est la situation du théâtre aujourd’hui et permet-elle la naissance d’un autre Tayeb Saddiki ? C’est une question que se posent les observateurs, et pas seulement en hommage au défunt.

La politique culturelle est un échec absolu. Les troupes de théâtre montent des spectacles, donnent les 4 représentations exigées pour justifier le soutien du ministre de la culture et basta. Les décors sont d’un vide sidéral, parce que cet investissement ne peut être rentabilisé en quelques représentations...devant des salles vides. Je suis en accord absolu avec ceux qui estiment que nous avons un problème de textes. Cependant, il suffirait de reprendre les textes de Chraïbi (El Harraz, Sidi Kaddour), ceux de Chahramane (Tkaâiaâ, le fou-rire, ou les grenouilles noires), des deux Tayeb, Laâlaj et Saddiki, pour avoir de quoi faire. Le problème est celui du contexte. Feu Guessouss a dénoncé, il y a 35 ans, la politique d’abrutissement par l’école. Nous en payons les résultats.

Il faut aujourd’hui remettre la culture au centre du système éducatif, la faire revivre à l’école, dans les quartiers, dans les maisons de jeunesse, imposer aux télés publiques des quotas d’émissions culturelles mais aussi des pièces de théâtre, de concerts de bon goût, donner les théâtres existants à des troupes résidentes pour qu’elles puissent les animer durant toute l’année, etc. Une vraie politique culturelle offrira aux générations futures d’autres Saddiki, parce que cette nation est féconde.