Casablanca, le ras le bol
Des embouteillages à tout coin de rue, c'est le lot des Casablancais depuis 15 jours

Depuis le début de ramadan, la ville étouffe. Pris au piège dans ses artères encombrées, les Casablancais n’en peuvent plus. Ils dénoncent la mauvaise gestion et le timing choisi pour le lancement des travaux dans les grands boulevards de la ville.

« Depuis quinze jours, la circulation à Casablanca est devenue impossible et les routes infréquentables. On vit un véritable enfer ! », s’insurgent des Casablancais, en colère, sur le groupe facebook populaire « Save Casablanca ». Pour eux, la vie dans la capitale économique est devenue trop éprouvante, surtout avec les circonstances spéciales du mois sacré.

Pris au piège

« Nous vivons un grand stress psychique et physique à Casablanca. Pour surmonter l’épreuve de ces routes bloquées dès 14h30, il faut avoir des nerfs en fer », nous raconte, le verbe abattu, Latifa Reghay, téléopératrice à Casanearshore et vivant à Bernoussi. Comme Latifa, ils sont nombreux les travailleurs qui passent 3 à 4 heures sur la route pour rentrer chez eux en fin de journée. « Imaginez, il m’arrive dernièrement de rompre le jeûne dans la rue. L’autre jour, je suis resté bloqué 3 heures sur la rocade sud-ouest de Casablanca. J’ai failli m’effondrer sur le volant à cause d’un malaise », nous raconte pour sa part Yassine Meftah, commercial dans une firme d’électroménager.

De son côté Adil Dabagh décrit un chemin de croix pour aller de Casablanca à Dar Bouaaza, devenue cité dortoir pour beaucoup Casablancais. « Un trajet de 20 minutes prend actuellement une heure et demi et plus. Les nombreux barrages, la pression, le stress, la chaleur, la soif et le jeûne, c’est difficile de ne pas craquer. Les voitures dont l’état mécanique n’est pas au top, y restent et leurs moteurs sont esquintés sur place », décrit le jeune homme.

Il nous faut des ailes !

Si les uns affronte la situation par la colère, d’autres choisissent l’ironie pour tourner en dérision cette crise. « Ne vous en faites pas ! Selon la théorie de l’évolution, avec le temps, les Casablancais vont s’adapter avec la situation et vont développer des ailes car c’est beaucoup plus pratique. Patientons un peu, ça va s’opérer d’ici un million d’années ! », ironise un membre du groupe.

Piégés dans de grands bouchons, citoyens et professionnels pointent du doigt la mauvaise gestion de la ville. « Je n’arrive pas à comprendre comment les responsables ont décidé de lancer simultanément les travaux du tramway dans les plus grandes artères de la ville. Bv Mohamed VI, Bv Al Qods, Bv Oulad Ziane, Bv la résistance sont devenus infréquentables. Si par malchance tu passe par là après 15h00, prépare-toi à y passer un bon moment », nous explique, exacerbé, Youssef Mounjid, chauffeur de petit taxi. Arpentant les routes de la grande ville, ce dernier affirme que la situation est catastrophique que ça soit pour les citoyens ou pour les professionnels du transport. « C’est profondément éprouvant. Je rentre chez moi vidé, anéanti par le stress pour m’effondrer comme un cadavre. J’imagine que c’est le cas pour beaucoup de gens », nous confie le chauffeur de taxi qui s’estime heureux lorsqu’il passe la journée sans accrochage et sans accident.

Qui est le responsable ?

Sur le groupe Save Casablanca, la grogne des internautes n’est pas prête de s’apaiser. Essayant de trouver une explication à leur malheur, certains l’expliquent par la mauvaise gestion et l’insouciance des responsables et de la mairie de la ville. D’autres vont jusqu’à remettre en question le choix du tramway au lieu du métro pour une ville dont les routes sont déjà insuffisantes. « Au lieu d’élargir les boulevards pour accueillir le nombre grandissant des voitures roulant à Casablanca, on opte pour la tram qui croque considérablement dans ces routes étroites. C’est normal que l’on se retrouve avec un tel fiasco. C’est crime que l’on va payer dans l’avenir », tente Rachid Aafif.

Un argumentaire repoussé par Achraf Sehnouni. « Le choix d’un tramway ou d’un métro se fait sur la base d’une étude socio-économique qui évalue plusieurs paramètres: Economiques, financiers, sociaux, urbains, politiques... », argumente-t-il en rappelant le problème des eaux sous-terraines bloquant les travaux du métro. « Entre un tramway ou une voiture je donnerai la priorité au tramway. Pourquoi ? 1- Le tramway peut accueillir jusqu’à 540 personnes. Vous imaginez la situation s’ils doivent tous être motorisés ? Ça fera 270 voitures sur les routes si on considère qu’il y a deux personnes par véhicule. La circulation sera encore pire. 2- Quand vous utilisez votre voiture vous polluer beaucoup plus que si vous utilisez le tramway », ajoute Sehnouni en rappelant l’épisode des dernières inondations à Casablanca. « Avec des passages souterrain submergés d’eau, je vous laisse imaginer ce qu’il en est si on a un réseau de métro souterrain », conclut-il.

Livre noir

Pour Hassan Boutzate, titulaire d’un DUT en génie civil, l’improvisation dans l’élaboration des projets d’infrastructures et des routes reste le principal problème. « Selon les normes de génie civil dans la construction des routes, il faut au moins désigner 4 allées de chaque direction. Une allée pour le stationnement et les autres pour laisser circuler les véhicules », explique Boutzate. Concernant les lignes du tramway, ce dernier indique que pour en installer une, il faut que le trajet en question soit d’une largeur de 36 m, sans compter les trottoirs. Ceci tout en laissant l’espace pour quatre allées au moins pour la circulation.

« Or, à Casablanca on manque de visionnaires qui sont capables de prévoir l’évolution démographique et celle du parc automobile dans la ville. Du coup, on se retrouve à chaque fois devant des imprévus qui affectent profondément la qualité de vie dans la plus grande ville du Maroc », explique Boutzate. Le manque de vision territoriale prévisionnelle prenant en considération l’évolution effrénée de la capitale économique serait ainsi l’origine du mal selon ce dernier.

Rejoignant la chercheuse Mouna Hachim dans son attitude citoyenne, il essaie de démêler cet imbroglio. Cette dernière a d’ailleurs bien choisi le moment pour publier « Le livre noir de la ville blanche ». Une compilation de publications de Casablancais dénonçant les grands dysfonctionnements minant la vie à Casablanca. Plus de 250 pages où l’administratrice de Save Casablanca dresse la longue liste des chantiers inachevés et ceux en retard sans oublier les dysfonctionnements de toute nature. « Vu l’état chaotique de la gestion de la ville, il nous était impossible d’y assister impuissants, sans soulever devant l’opinion publique les dysfonctionnements rongeant la capitale économique du pays. La ville souffre d’un grave problème de gouvernance ! », dénonce Hachim. Un plaidoyer pour une prise de conscience et une citoyenneté active à travers la sensibilisation mais aussi à travers les témoignages vivants, les doléances et les propositions pour un Casablanca meilleur. Les doléances des habitants et des prescripteurs d’opinion seront-ils entendus par les responsables et par la mairie ? A suivre.