Nelly Ben Israël. « Mon roman est une quête identitaire et une volonté de transmission de la mémoire »
Nelly Ben Israël

Fière de ses origines marocaines qu’elle assume pleinement, la chroniqueuse littéraire israélienne d’origine marocaine, installée en Israël depuis 18 ans et bibliothécaire à l’Université Hébraïque de Jérusalem, Nelly Ben Israël, nous parle de son premier roman « Ella, L’espoir au loin, Tome 1 » sur le thème de l’identité et de la reconstruction, qu’elle vient de publier en avril 2021 aux éditions M+.

« Ella, L’espoir au loin » est votre premier roman. Pourquoi avoir choisi ce genre littéraire ? et pourquoi cette thématique avec ce souci de la mémoire ?

J’ai toujours voulu écrire une histoire fleuve, un roman, une longue et belle histoire. Celle-ci est en moi depuis plus de 20 ans, et lorsque j’ai commencé mon travail de recherches d’abord, mon travail d’écriture ensuite, j’ai su que ce serait un roman sur fond historique et étant très intéressée par l’histoire du peuple juif, j’ai très vite compris que j’en parlerai.

Vous êtes née au Maroc à la fin des années 70 et vous n’avez pas vraiment vécu la Shoah (années 60). En quoi cette histoire se rapproche de la vôtre ?

Cette histoire est beaucoup plus proche de moi qu’on pourrait le penser. Je suis née à Rabat, une ville avec une petite communauté juive et lorsque j’ai cherché sa jumelle en France, Rouen s’est imposée à mon imaginaire. La Shoah fait partie de l’histoire et la mémoire collectives du peuple juif. Si dans mon cas, la Shoah ne m’a pas touchée intimement via ma famille, des communautés séfarades (bulgares, grecques) ont été exterminées et je souhaitais le rappeler avec la mère de mon héroïne, originaire de Salonique. Quant aux années 60, elles sont fascinantes et cela a été passionnant de les découvrir par la chanson, le cinéma, la littérature, l’actualité historique. Il s’agit de mes passions au quotidien et du coup, je me suis transposée dans ces années-là pendant l’écriture.

Nelly Ben Israël


Le roman entraine le lecteur en France, en Espagne et en Israël. Pourquoi le choix de ces trois pays ?

Je vais commencer ma réponse par un pays avec lequel j’ai décidé de prendre de la distance dès le départ, le Maroc. Le Maroc, c’est mon pays natal, le pays de mes jeunes années, mes racines intimes et ma culture première et j’ai voulu instaurer une distance avec lui pour pouvoir écrire et me considérer comme extérieure à l’histoire. Il me restait donc trois pays. La France et l’Espagne sont les pays de mes autres cultures. Je viens d’une famille dont la langue maternelle était l’espagnol, nous parlions également le « haketia », le dialecte judéo-espagnol parlé par un petit nombre de Juifs dans le monde. J’ai grandi en regardant les programmes télévisés espagnols, en entendant l’histoire d’Espagne etc. et il était donc évident que mon héroïne, par son origine grecque, s’intéresserait aussi à l’espagnol et à ce pays.

La France est le pays de mon éducation et de mes cultures littéraire, musicale et cinématographique. Ayant moi-même étudié à Paris, mon parcours a été moins prestigieux que celui d’Ella mais il est indéniable que l’excellence académique suscite mon admiration.

Quant à Israël, c’est mon pays d’adoption depuis près de 18 ans et j’y ai planté mes racines en y construisant ma vie d’adulte et y fondant ma famille. Ecrire sur les années 60 signifiait donc intégrer la Guerre des Six jours et raconter Israël à un moment où le pays suscitait l’admiration de par le monde.

En plus du travail académique effectué, on sent que vous avez fait des recherches historiques, tout en mixant des références musicales et cinématographiques. C’est un peu votre côté bibliothécaire qui prend le dessus ? Est-ce aussi pour être au plus près de la réalité ?

C’est même beaucoup mon côté bibliothécaire ! J’ai la chance de travailler à la bibliothèque universitaire de l’Université de Jérusalem, j’avais donc à disposition tout le matériel nécessaire pour mener mes recherches et être au plus près de la réalité tout en souhaitant garder le côté romanesque. J’ai consulté plusieurs numéros des ‘Temps modernes’, la revue de Jean-Paul Sartre que je cite plusieurs fois, j’ai relu les ouvrages de Jorge Semprún qui est un personnage central du roman etc. J’ai également vu des documentaires consacrés à mai 68, écouté des chansons de ces années-là pour retranscrire fidèlement.

Votre écriture emprunte au genre cinématographique, notamment pour le traitement des personnages qui ont des vies différentes et qui ont tous un lien entre eux. Comment avez-vous imaginé cela ?

Le cinéma est une passion. Et pendant le processus d’écriture, je voyais mes personnages évoluer dans un certain décor. J’étais en quelque sorte avec eux en retrait en train de les filmer et j’ai essayé d’écrire ce que je voyais. Parfois ce n’était pas trop difficile, mais parfois lorsqu’un drame se jouait, c’était plus complexe de trouver les mots justes. Si le lecteur se construit sa propre histoire en lisant et y plonge comme dans un film, alors j’aurais réussi doublement.

Ella, L'espoir au loin de Nelly Ben Israël


Ce roman, est-ce une quête identitaire ?

Ce roman c’est beaucoup de choses. C’est un besoin de liberté, une recherche de vérité, une volonté de transmission de la mémoire et oui également une quête identitaire.

Ella est une jeune adulte qui manque de repères notamment car il lui manque une partie de son histoire et parce qu’elle subit des violences. Elle sait qu’elle est juive mais elle ne sait pas ce que cela signifie, elle ne comprend pas pourquoi son père ne lui apporte pas amour et soutien alors qu’elle aspire à sa reconnaissance. Le lecteur va l’accompagner dans son processus de volonté d’affirmation.

Comment se reconstruire après un drame ?

C’est la question que je me pose pratiquement après chaque drame, attentat ou accident que je découvre et lorsque je lis des témoignages de survivants de la Shoah.

Et je ne sais pas quelle réponse donner, mais il n’y en a pas certainement une. Certains auront une pulsion de vie et donneront naissance à un enfant après un décès, d’autres se consacreront à un projet à la mémoire du disparu, et malheureusement certains sombreront. Beaucoup diront qu’ils ne supporteront et ne survivront jamais à tel ou tel malheur, moi y compris. Mes lectures et les documentaires consacrés à ces douloureux sujets prouvent qu’on peut s’en sortir et j’ai voulu y croire en écrivant cette histoire.

Quelle est la part d’autobiographie dans ce roman ? Y-a-t-il des similitudes entre vous et votre héroïne ?

Tout d’abord, j’ai commencé à écrire cette histoire à mes propres 17 ans pendant mon année de terminale au Maroc. Je voulais être l’héroïne d’un roman en quête de liberté et raconter cette histoire, mais j’ai abandonné ce projet au bout d’une vingtaine de feuillets. Plus de 20 ans plus tard, j’étais prête, mais j’étais désormais plus mûre, mariée, maman, ancrée dans la vie professionnelle, bref différente. Donc Ella ne pouvait plus être moi, mais je pouvais encore lui attribuer quelques ressemblances avec moi, notamment ma quête d’émancipation.

C’était difficile de grandir comme jeune fille, entre deux frères, au Maroc dans les années 90. Si mon père m’a toujours soutenue dans mes études car au prix de grands sacrifices, j’ai eu la chance de partir étudier en France, je ne suis pas sûre qu’il n’ait jamais su quel ait été mon cursus académique. Son but était d’aspirer à la tranquillité d’esprit me sachant mariée et mère, ce que je trouvais profondément injuste et archaïque. Si mes frères étaient libres de leurs mouvements, je devais me battre pour chaque sortie, et je ne gagnais pas toujours. Avec le recul, je sais qu’il y avait une volonté de me protéger, ce que je comprends évidemment aujourd’hui mais je me sentais alors vivre dans une ambiance étouffante, les violences traitées dans le livre en moins.

« Ella, L’espoir au loin » évoque de l’espoir malgré le lourd bagage traumatique que l’héroïne traine. Etes-vous généralement optimiste ? Et pensez-vous que « l’Art » a ce pouvoir de changer les choses là où les politiques échouent ou est-ce une utopie ?

Je suis une grande optimiste mais je vais peut-être étonner en disant que je ne l’étais pas du tout ! Jusqu’à la rencontre avec mon mari, je voyais tout en noir, regardais le verre à moitié vide, imaginais le pire etc. Je pense que c’était essentiellement dû à un manque d’assurance, à la peur de mal faire, de ne pas réussir et de décevoir. Grâce à sa faculté de croire en moi et sous ses encouragements, mon mari est le responsable d’un processus entamé il y a plus de 15 ans : non, mes rêves ne sont pas ridicules ; oui je peux réussir ; et quelle importance si je déçois ? Et c’est un tel soulagement de ne plus se mettre de pression ! L’écriture de ce livre en est la preuve. Je ne me suis autorisée aucune autocensure ni aucun sentiment de malaise et pour aller plus loin, oui l’Art quand il est réel, touche ceux qui le reçoivent et le découvrent. Les lecteurs, les auditeurs, les spectateurs ressentent quand c’est vrai, et les collaborations artistiques le prouvent. Je pense à Idan Raichel, grand artiste israélien, qui se produit avec des artistes de toute confession dans le monde entier, notamment à Dubaï il y a quelques mois. Je pense aussi à la série israélienne Fauda, devenue un immense succès international, parce qu’elle est vraie dans ses questionnements. Et c’est un réel un changement oui.

Que pensez-vous du rapprochement Israël-Maroc et qu’est-ce que ça pourrait changer pour les artistes Juifs d’origine marocaine et vice-versa ?

L’annonce de la normalisation a été une réelle émotion. Je me suis sentie enfin entière, et non plus dans la nécessité de faire un choix entre mon pays natal et mon pays d’adoption. Non pas que l’on ne m’ait jamais demandé de choisir, mais il y avait quelque part ce tiraillement parce qu’il n’existait pas de relations diplomatiques entre les deux pays. Maintenant que ce pont existe, ou plus exactement que des vols directs vont commencer, ce sont de magnifiques opportunités entre les deux pays au niveau culturel, académique, commercial et autres. L’orchestre andalou d’Ashdod se produit régulièrement au Maroc, imaginez maintenant des festivals, des concerts d’artistes entre les deux pays, n’est-ce pas extraordinaire ? J’ai lu dernièrement que Golstar, une série populaire israélienne allait tourner une saison au Maroc. C’était un rêve il y a quelques mois à peine, c’est aujourd’hui non seulement possible mais concret.

Il n’y a plus qu’environ 2000 Juifs qui vivent au Maroc. Quel souvenir gardez-vous de la vie des communautés juives et musulmanes lorsque vous viviez à Rabat ?

Nous, Juifs nés au Maroc, restons attachés à nos racines. J’y ai vécu jusqu’à l’obtention de mon bac, autant dire que j’ai des milliers de souvenirs de ma vie là-bas. Je pense que c’était alors une coexistence simple et chaleureuse, sans la pression des médias et des réseaux sociaux. Pour mes amis, la religion était un non-sujet. Il y avait mes absences et celles de mes coreligionnaires à l’école dues aux fêtes religieuses juives et nous suivions le calendrier académique incluant les vacances et fêtes chrétiennes et musulmanes, ce n’était pas sujet à débat. En partant, nous sommes restés nostalgiques de cette vie avec cette tranquillité-là. Ce n’est plus la communauté juive qui a disparu avec le temps, c’est aussi cette naïveté bénie de l’harmonie. Mais malgré le temps et la distance, je suis avec des amis restés là-bas et j’ai hâte d’organiser une visite avec toute la famille et donc la génération de mes enfants qui sont également très fiers de leurs origines.

Vous prévoyez un 2e Tome ? Qu’évoquerez-vous dans cette deuxième partie ?

Le Tome 2 est en cours de retravail d’écriture et de corrections, il paraitra en octobre/novembre prochain. La trame continue sur les années suivantes notamment les années 70 avec des évènements historiques majeurs tels que le massacre des athlètes israéliens à Munich en 1972 et la Guerre de Kippour en 1973. « Ella » continue de mûrir et de se construire mais sa quête identitaire n’est pas encore terminée.