Christine Salem La voix du Maloya résonne à Fès

'Avec sa voix grave et profonde, la diva du Maloya a mis le feu au somptueux  Jnane Sbil, lors de la 22e édition du Festival de Fès. Malgré la pluie qui a légèrement perturbé le spectacle, l’artiste a livré un show acoustique sans précédent qui a envoûté le public.'

Elle est l’une des rares voix féminines les plus connues du Maloya, ce blues rebelle hérité des esclaves, longtemps interdit à la Réunion, car jugé trop subversif. Christine Salem est aussi une musicienne engagée qui chante un folklore qui porte les revendications identitaires de son peuple et qui souligne haut et fort les racines malgaches et comoriennes de sa culture.

Son dernier album « Larg Pa Lo Kor » (2016), qu'on pourrait traduire par « Ne lâche pas » résume parfaitement l’esprit et la personnalité de l’artiste qui a mixé Maloya et Blues. Deux styles musicaux qui se rapprochent et qui ont les mêmes racines, un chant à travers lequel les esclaves criaient leur douleur. Avec son timbre grave et androgyne, son flow ensorcelé et ses paroles amères, Christine Salem vous touche au plus profond de votre âme. L’artiste rebelle qui a longtemps milité pour les jeunes générations renouent avec leurs racines africaines chante la rage, la lutte et l’espoir. Entre fièvre rythmique et lamentation, sa musique est à la fois enracinée, ouverte et libre. Rencontre avec une artiste engagée, sensible et profondément déterminée.

Ça vous fait quoi de chanter pour la 1ère fois au Maroc, au Festival de Fès qui a pour thématique cette année « Les Femmes fondatrices » ? J’aime ce pays, j’étais déjà venue une fois ici en tant que touriste, mais là, effectivement, c’est la 1ère fois que je me produis à Fès. Vous savez, je chante le Maloya qui est une musique qui a longtemps été interdite dans l’île de la Réunion jusqu’aux années 80, en plus, elle était chantée surtout par des hommes, et pire encore, moi, je chante dans plusieurs langues, en arabe, en swahilie, en dialecte malgach, … En fait, c’est une musique qui permet une connexion avec nos ancêtres, et le fait de venir sur scène avec ce style de musique, ça a été très rejeté pendant des années à la Réunion, parce que c’était la chose qu’il ne fallait pas faire, et moi, je m’en moquais complètement. Je vis la musique et j’ai envie que tout le monde vive ce moment avec moi. Pour moi, la musique, ça guérit aussi ; avant, je faisais de l’accompagnement social pour les jeunes en difficultés et le fait d’avoir la musique à côté, ça me permettait un peu d’oublier toutes les difficultés des gens que je rencontrais, elle me permettait de tout évacuer et de repartir sur de bonnes bases et de bonnes énergies.

Justement, est-ce que c’était facile pour vous, en tant que femme, de chanter le Maloya ? Je m’en moquais complètement, j’ai toujours fait ce que j’aimais et il se trouve que j’aime la musique. Pendant des années, les gens critiquaient, ne comprenaient pas ce que je chantais, d’ailleurs, le Maloya était dévalorisé par notre peuple puisqu’il n’était même pas considéré comme une musique alors, je me suis lancée le défi de prouver le contraire. J’ai donc tout fait pour porter cette musique hors de la Réunion, et aujourd’hui, je continue à la supporter à l’international. En 2009, ça a été classé Patrimoine mondial par l’UNESCO, et en 20 ans, beaucoup de choses ont été réalisées. Désormais, je ne dirais pas que j’arrête ce défi, mais j’ai vraiment envie de penser à moi, j’adore le Maloya mais en même temps, j’avais envie de faire un mélange de musique, et comme j’adore le Blues, j’ai ajouté des guitares sur mes derniers albums, …le Blues a la même histoire que le Maloya, c’est le chant des esclaves, et avec Seb Martel, on a réussi à produire un style de musique que j’aime. J’aime aussi toutes les musiques traditionnelles, demain peut être je vais travailler avec un autre artiste, c’est ça la musique, quand on arrive à partager.

Le Maloya, ça représente quoi pour vous ? C’est un retour aux sources, c’est une musique qui nous permet une connexion avec nos ancêtres, c’est un peu comme une musique soufie, c’est une connexion particulière, je sais quand la connexion arrive mais je ne sais pas pourquoi exactement !

Votre dernier album "Larg Pa Lo Kor" signifie « ne renonce pas ».  Oui, ça veut dire « ne lâche » pas, chez nous, c’est un dicton qui dit que même dans la difficulté, il y a toujours une solution, il ne faut pas rester sur les problèmes et quand on y croit, on peut y arriver. En fait, c’est comme un abcès qu’on doit crever !

Sur scène, vous rentrez souvent en transe. Oui, c’est spontané, ça m’arrive souvent de chanter une chanson et de partir sur un autre truc, les musiciens me regardent un peu bizarrement…, mais tout le monde me suit après, on a l’habitude maintenant, et j’adore cela, c’est magique, je ne peux pas l’expliquer.

Vous militez depuis des années pour que les jeunes générations renouent avec leurs racines africaines ? Oui, depuis que le Maloya s’exporte un peu partout dans le monde, les jeunes commencent à prendre conscience de son importance. Les gens reconnaissent aujourd’hui la valeur de ce patrimoine culturel et c’est génial. Aujourd’hui, il y a plusieurs jeunes groupes de chanteurs et de danseurs de l’île qui en font et qui l’ont métissé avec de nouvelles sonorités (rock, reggae, jazz, musique électronique, slam …) et ça me réjouit. A l’époque, quand j’ai commencé à chanter, il n’y en avait pratiquement pas, à part bien sûr l’immense Françoise Gaimbert que tout le monde surnomme "Tantine Zaza".

Comment voyez-vous l’avenir de la femme dans votre pays ? Il faut aller de l’avant et surtout d’être soi même.

Que rêvez-vous pour votre pays ? Je rêve que notre musique avance, qu’elle soit reconnue et que la Réunion soit connue par le monde entier.

Par rapport à votre coupe afro ? C’est complètement spontané. Une fois, je suis tombée sur une vieille photo de ma mère et je trouvais ça joli, donc, j’ai décidé d’adopter son look et de le garder même si on est en 2016 !

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