La diva malienne Rokia Traoré envoûte le Bouregreg

Avec ses chansons empreintes de poèmes tendres et philosophiques, teintées de blues, la chanteuse et guitariste malienne, connue pour son style mêlant tradition malienne et modernisme occidental, a convié la foule du Bouregreg à un superbe périple musical, lors du concert d’ouverture de Mawazine.

Avec sa voix puissante et son talent musical hors du commun, la jeune artiste malienne de 42 ans, qui s’est imposée comme le talent le plus étonnant d'Afrique de l'Ouest, a fait sensation ce vendredi 20 mai, lors du concert d’ouverture de la 15e édition du festival Mawazine et rythmes du monde.

Son style à la fois décontracté et élégant a charmé le public venu nombreux danser sur les rythmes chauds de Bamako mêlés aux sons modernes des guitares électriques. Ancrée dans la tradition malienne, sa musique enivrante aux accents rock et blues a envouté ses fans qui ont scandé tout au long de la soirée, les refrains de ses chansons engagées, comme « One world, one destiny, one aim, one thing to never forget : respect" » (un monde, une destinée, un but, une chose à ne jamais oublier: le respect).

Récemment nommée par l'ONU ambassadrice de bonne volonté auprès des réfugiés, la chanteuse engagée a dédié une de ses chansons aux réfugiés de tous les pays dans le monde. La diva malienne qui a également rencontré des femmes migrantes et réfugiées à l'association Orient Occident à Rabat, et qui compte 6 albums à son actif, nous parle de son dernier « Né So » (Chez moi), aux racines maliennes et aux horizons multicolores.

 

Ce soir, vous vous produisez en ouverture à Mawazine sur la scène Bouregreg. Qu’est ce que cela signifie pour vous, de vous produire ici au Maroc, dans un pays africain ? Beaucoup, c’est extrêmement agréable, en plus, c’est une opportunité de me produire sur le continent et avoir en face de moi un public marocain disposé à découvrir mes chansons. Je suis africaine mais ce que je fais est beaucoup plus connu en Europe et dans le reste du monde qu’en Afrique, donc, c’est une extraordinaire opportunité pour moi qui m’amène à réellement saluer cet effort fait au Maroc à l’endroit de la culture. C’est la 4e fois que je me produis ici depuis le début de ma carrière et à chaque fois, je vois que les festivals sont soutenus, aidés et encouragés. Au-delà des subventions, on sent une réelle volonté des dirigeants et une croyance en cette discipline, en ce facteur là de développement.

Votre dernier album Né So, qu’est ce que ça veut dire et qu’est ce qui vous a inspiré pour le faire ? Né So veut dire « Chez moi », tout ce qui fait ce qu’on est et qu’on a envie d’être dans ce monde, et qui est détruit lorsqu’on perd son chez soi, alors on vit là où on peut, on existe comme on peut… Cet album parle plus de ceux qui n’ont plus de chez soi que ceux qui l’ont. Et parler de l’importance d’en avoir est une manière pour moi de compatir avec ceux qui n’en ont pas.

Est-ce que ce sont les ravages de la guerre au Mali qui vous ont poussé à faire cet album ? C’est ce que j’ai frôlé qui m’a fait prendre conscience de ce que les réfugiés peuvent endurer. Et d’ailleurs, c’est ma visite aux camps des réfugiés malien au Burkina Faso qui m’a donné envie d’écrire ce texte. C’est aussi une manière de montrer aux réfugiés que je ne suis pas juste venue les voir pour m’en aller, mais que j’étais vraiment là, que ce soit en 2012, au début de la crise au Mali ou lors de ma visite de ce camp. Je n’oublierai jamais cette étape de ma vie qui change, qui forme, qui perturbe, qui écorche et dont j’essaie de me soigner, de rester debout et de continuer.

Souvent, on se sent impuissant devant tant d’injustices, c’est pour vous une manière de soutenir ces gens là ? J’ai l’impression que ce n’est rien, mais au moins, ceux que je suis allée voir n’auront pas juste l’impression que j’ai sauté dans leur vie, ils comprendront que ma présence (par le biais du HCR) était sincère. J’étais ravie d’être avec eux et de les soutenir dans les moments difficiles qu’ils traversaient. De toute façon, on s’en va toujours de ce genre d’endroits avec un sentiment d’impuissance et de profonde tristesse.

Pour l’artiste engagée que vous êtes, c’est important de soutenir des causes, de défendre la voix des sans voix ? Quand je crois en quelque chose, je fonce, mais est ce que c’est ça l’engagement ? On l’est tous quelque part, selon nos caractères et notre personnalité, c’est juste qu’on n’accorde pas tous la même importance à un événement donné. On croit tous à la vie mais jusqu’où peut-on aller pour défendre ses convictions ? Je n’aime pas trop le terme d’engagement, je pense que c’est très prétentieux.

Vous avez vécu en France, en Belgique mais vous avez choisi de vous installer au Mali, c’était important pour vous de revenir aux sources ? En réalité, je ne suis jamais partie. En 2009, je suis revenue au Mali parce que les travaux de ma maison s’étaient enfin achevés. Donc, je ne faisais plus des allers-retours comme avant. J’étais chez moi et j’en ai profité pour commencer le projet de la Fondation, parce que j’avais désormais plus de flexibilité et de temps sur place. Cela dit, j’ai toujours une résidence secondaire en Europe, en France mais j’ai toujours fait énormément d’allers retours en Afrique mais depuis 2009, ma résidence est officiellement en Afrique.

Vous êtes connue pour ce mélange du style traditionnel et contemporain. J’ai appris suffisamment ces dernières années pour être capable de faire un spectacle comme une griotte mais c’est assez récent. Car, pour faire de la musique traditionnelle malienne, cela nécessite beaucoup de recherches. Ma musique reflète d’abord qui je suis, c’est un peu ma manière de percevoir la vie. Or, quand je dois faire un spectacle purement traditionnel, je n’hésite pas à aller voir une cantatrice griotte. Je ne recherche pas nécessairement de mélanger la musique malienne et la musique occidentale dans mes projets, c’est moi qui suis un mélange de Mali et d’étranger, de Mali et d’ailleurs et je n’ai pas à faire de recherche pour ça, j’ai juste à être moi.