Filles de TikTok : La chasse aux sorcières d’un youtubeur 
La violence numérique touche 1,5 millions de Marocaines sans compter les victimes qui préfèrent se taire

Caméra à l’appui, le youtubeur  « Moul j’aime zar9a » mène depuis deux semaines une véritable chasse aux sourcières contres les filles de TikTok. Jeu de rôles ou véritable traquenard, ces vidéos populaires sur youtube sont une incitation franche à la délation.   



Connu par ses vidéos de démonstrations musclées contre ses détracteurs, Karim Douiri alias « Moul j’aime Zar9a » s’attaque cette fois aux jeunes femmes abonnées de TikTok. « J’ai sur moi là des lettres de remerciements que je vais remettre aux parents de ces filles qui dansent et s’exhibent sur TikTok. Je vais leur exprimer ma gratitude pour le fait d’avoir élever d’aussi séduisantes jeunes femmes qui font la joie de leurs fans par leur danses et leurs vidéos suggestives », ironise -t-il pour introduire ses vidéos suivies par des milliers de spectateurs.

Inquisition numérique

Epaulé par un caméraman, il se rend en effet au domicile de l’une de ses cibles, frappe à la porte et montre, aux parents choqués, les vidéos de leurs filles. S’ensuivent alors des scènes violentes où ces dernières sont tabassées, insultées et humiliées en direct. Des vidéos appréciées et très suivies à en juger le nombre de vues enregistré et les commentaires encourageants.

« Ce genre d’agissements est inadmissible. En plus d’être en infraction de la loi, c’est une forme grave de violence numérique dont sont victimes ces filles et leurs familles », s’insurge Bouchra Abdou, directrice de l’Association Tahadi pour la citoyenneté et l’égalité. Cette dernière en appelle à faire valoir et à mettre à profit la loi 103-13 relative à la violence contre les femmes fraichement mise en application. « De quel droit ce youtubeur s’introduit dans la vie de ses cibles, se permet de les juger et pire de monter leurs familles contre elles. Nous sommes en présence d’un agissement profondément inquiétant qui porte atteinte à l’intégrité psychique et physique des filles mais aussi de leurs parents », argumente Abdou.

La loi vous protège

Cette dernière dénonce d’ailleurs l’impunité dont jouit Moul j’aime zerqa depuis qu’il s’est lancé dans son action inquisitrice. Comme de nombreuses voix s’élevant ces derniers jours sur facebook et instagram, l’activiste en appelle la police numérique à intervenir pour mettre fin à ses croisades virtuelles sur les réseaux sociaux, semant la panique parmi les utilisatrices de TikTok

D’après Youssef Rabhi, titulaire d’un doctorat axé sur les crimes électroniques à caractère sexuel, la plupart des victimes ignorent que la loi les protège. Selon Rabhi, une plainte auprès de la police peut déclencher une procédure susceptible de mettre fin à leur calvaire et même de mettre « leur agresseur » derrière les barreaux pendant une période allant d’un à 5 ans. D’après le juriste, il faut savoir que toute atteinte ou violence numérique ou électronique est considérée comme un délit qui est puni par la loi. « Les articles de la loi 103-13 sont d’ailleurs clairs, il suffit que les victimes soient conscientes de leurs droits », insiste Bouchra Abdou.

Fausse légitimité

« Mais le grand problème reste que les agresseurs, tel ce youtubeur, sont inconscients du délit qu’ils commettent en s’attaquant à autrui via des vidéos et autres réseaux sociaux », note Mehdi Sebbar, chercheur en sociologie. Tout au contraire, ils s’inventent une légitimité, qui n’est pas réelle, émanant du nombre de leurs followers et des vues. « Chaque nouveau like ou commentaire le conforte dans cette idée d’influenceur qui a le droit et surtout le pouvoir de changer les tares de la société », analyse le chercheur.

« Si les uns se contentent de théoriser, d’autres, plus audacieux et moins soucieux des retombées de leurs actes, vont passer à l’action. Ce youtubeur en est un exemple de ces justiciers populaires encouragés par des followers exaltés. Il nous rappelle le cas du chasseur de sorcières qui a poursuivi des femmes dans la rue et les a filmé alors qu’elles se rendaient chez des voyantes. C’est le même schéma : Dévoiler, dénoncer, violenter pour changer », ajoute le chercheur.

Il faut noter qu’après le déclenchement de la campagne dénonçant ses manœuvres, Karim Douiri s’est rétracté. Il a posté hier une nouvelle vidéo où il affirme que ses descentes chez les familles « étaient juste des jeux de rôles instructifs et porteurs de messages nobles ». Une manière de se dérober aux poursuites légales après avoir fait le buzz en prétendant réellement mener cette chasse aux sorcières ? En tout cas cet argumentaire n’apaise nullement les associations de défense des droits des femmes. « Même si c’est un jeu de rôle, le message central de ces vidéos incite à la violence et à la délation. D’ailleurs à la fin de chaque vidéo, le youtubeur lance un appel franc et clair aux jeunes en les incitant à aller dénoncer, auprès de ses parents, chaque fille de leurs villes dansant sur Tiktok », conclut Abdou en appelant à plus de vigilance et de fermeté par rapport au contenu Youtube et autre réseaux sociaux.