Divine, Raymonde El Bidaouia !

50 ans de carrière et une voix qui n’a pas pris une ride. A 74 ans, la légende vivante du chaâbi a de nouveau fait vibrer Dar Souiri et la scène El Menzeh lors de la 13e édition des Andalousies d’Essaouira. En reprenant divinement les standards de notre répertoire marocain, la « perle orientale » a permis à un public nostalgique de revivre avec tant d’émotions les rythmes qui ont bercé leur enfance.

Vous êtes un peu chez vous ici à Essaouira. Quel effet ça vous fait de revenir après plusieurs années ? Je ressens beaucoup de bonheur, ça fait 3 ans que je ne suis pas venue à Essaouira, ça fait 3 ou 4 fois que je fais partie de ce festival. Je vois l’amour et l’enthousiasme du public, je vois qu’on ne m’a pas oublié, malgré tant d’années, c’est merveilleux ! D’ailleurs, Essaouira me rappelle les vacances de mon enfance. Les gens d’Essaouira sont accueillants, ils sont d’une simplicité, d’une lucidité et d’une intelligence magnifique. J’adore les Mogadoriens.

D’où est née votre passion pour le chaâbi ? Elle est née de là où je suis née, à Casablanca, mon quartier, mon enfance…Et puis, je préfère continuer dans ce domaine parce qu’il a été délaissé et négligé. Le Chaâbi, on n’ose plus le chanter. Il y a de très belles voix au Maroc, c’est bien beau de chanter en égyptien, mais il faut qu’il y ait aussi un peu de Naïma Samih, il faut qu’il y ait du renouveau, moi, je ne fais qu’imiter. Il faut que la jeunesse d’aujourd’hui assure la relève pour que cette langue ne disparaisse pas, pour nos origines aussi…

Vous ne trouvez pas que les jeunes s’intéressent au Chaâbi ? Je suis contente que la jeunesse chante le Maroc, mais je trouve que leur style est très moderne. Je veux qu’ils conservent notre style originel marocain. Cheb Khaled par exemple a fait son raï à lui mais il est resté Cheb Khaled. On trouve du raï, des mwawels,… mais la vraie chanson où il y a un peu de chelha, du ta3roubit, des maânis, il n’y a plus. Il faut que cette jeunesse prenne exemple sur moi.

Le fait d’être née à Casablanca a-t-il influencé votre style artistique ? Je suis née dans un milieu loin de la chanson, ma mère était une grande coutière à Casablanca (Bd d’Anfa). C’est venu par hasard, ce n’était pas prévu à ma naissance. Cette découverte, peut être elle existait en moi mais je l’ignorais. J’ai été surprise moi-même et ma famille aussi. Vous savez, au Mellah, on était tous voisins, juifs et des musulmans. Certains disaient que c’est le Mellah des juifs, mais non, c’était le Mellah des Marocains, de nous tous, …A l’époque, on écoutait les chansons de Bouchaïb Bidaoui, de la place Verdun,… Quand j’ai quitté le Maroc à 18 ans, je n’avais jamais planifié d’être chanteuse, je n’envisageais pas d’en faire un métier, c’est la nostalgie qui m’a poussé vers cette voie ! Je pouvais très bien chanter en français ou dans une autre langue ; à l’époque, Il y avait Georges Brassens, France Galles, Johny Holliday, c’était des copains, mais il y avait aussi Bouchaib Bidaoui, Malika, Hajja Hamdaouia, et j’ai fait mon choix.

D’ailleurs, à l’étranger, on vous a souvent reproché de chanter en darija. Oui, on m’a reproché cela en Israël et en France, j’avais fait mon choix et c’est ça qui a fait la particularité de Raymonde. Quand on passe d’un continent à l’autre, on n’a pas d’identité, alors là je ne regrette pas.

Vous avez également fait du cinéma et du théâtre. C’était important pour vous ? J’ai fait des pièces judéo-arabes, entièrement en arabe. Dans les films, je jouais toujours le rôle de la marocaine, la maman envahissante, la belle-mère haineuse, tout ce qui touche notre culture. Mais pour moi, ce qui est important, c’est de chanter pendant 50 ans et de continuer à le faire. Ma vraie passion c’est la chanson, le plus important c’est d’aimer chanter et d’être aimée en tant que chanteuse. Le bonheur, c’est ce contact direct avec le public.

Votre fille Yaël Abecassis est une actrice talentueuse. Vous lui avez transmis cette fibre artistique ? Je ne luis ai rien transmis, elle m’a surprise. Quand elle était à l’université, j’étais au Maroc pendant 5 ans, et en arrivant à Tel Aviv, j’ai trouvé une fille célèbre, connue, au cinéma, à la télévision. J’avais le souvenir d’une petite fille toute menue, une bonne étudiante et d’un seul coup, elle était devenue une actrice connue. Je n’étais pas étonnée, j’étais très heureuse mais je n’étais pas du tout préparée à cette belle surprise.

Vous étiez souvent conviée à chanter au Palais Royal. Quel souvenir gardez-vous de Feu Hassan II ? Quand j’ai reçue l’invitation, j’étais très surprise. SM voulait absolument que je vienne chanter au Maroc alors que lorsque j’avais commencé à chanter, je n’étais pas au Maroc ! Le fait qu’il soit au courant que j’existais en tant que chanteuse m’a beaucoup surpris, je ne comprenais pas pourquoi il m’invitait puisque je n’avais aucun bagage et la plupart des chansons que j’interprétais n’étaient pas les miennes, alors j’ai fait un voyage terrible avec l’angoisse. En fait, c’est grâce à SM que j’ai découvert combien je suis aimée par le peuple marocain, c’est un énorme cadeau. En arrivant sur scène, ma langue était nouée mais par la suite, c’était magnifique, j’ai chanté « 3adama ma mennouch », « Hna mgharba ya sidi, hna welad had Maghrib »…

Fatine Benagida estime que « 3adama ma mennouch » est sa chanson ? Cette chanson n’est ni la sienne ni la mienne, elle appartient au répertoire marocain, je l’ai entendu chanter par jballas (montagnards), je l’ai chanté à ma manière, avec un style charqui. Vous savez, je chante 3ayta de cette manière, sous forme de mawal à la manière des femmes qui discutaient entre elles de fenêtre en fenêtre, sans musique, en style 3roubi. Avant, il n’y avait pas la chanson, mais m3ani (les sens), et cette chanson vient des m3anis, ça parle de l’Homme « mahgour » pauvre qui malgré tout, est convoité par une autre femme que son épouse !

En 1981, vous avez chanté au Théâtre Mohamed V. Je voulais chanter pour défendre la femme marocaine et dénoncer la bigamie. Je voulais qu’elle s’impose et qu’elle ne s’incline plus. La femme doit être la première à avancer et l’homme devrait la suivre. Je voulais qu’elle soit fière et qu’elle ne laisse plus son mari avoir une seconde épouse. Je voulais qu’elle se batte pour garder son homme même s’il y a une autre femme qui lui tourne autour.

Comment voyez-vous la femme marocaine aujourd’hui ? Elle commence à rayonner, elle porte en elle beaucoup de lumière que certains se forcent à éteindre. Elle a beaucoup de choses à donner, il faut juste la laisser libre. Il ne faut pas tuer en elle cette flamme de l’ambition, il faut la laisser briller pour qu’elle puisse tracer son propre chemin.

Quel est le secret de la réussite ? Il n’y a pas de secret. Vous dîtes que j’ai réussi, moi, je dis que je continue de chanter, je ne sais pas si c’est une réussite. Ça fait 50 ans que je chante, c’est magnifique, mais c’est grâce au public. Il y a des gens qui font des cartonnent avec leurs disques, puis disparaissent un ou deux ans après. Le secret est dans le Chaâbi, dans l’originalité, dans le choix de mes chansons.

Si vous deviez nous décrire votre journée ? Ma journée débute à 2h de l’après-midi, mon petit déjeuner à 3h, je dîne vers 6h, puis je travaille ou je suis en tournée. Si je fais du cinéma, je me réveille très tôt le matin, il n’y a pas de secret ni de miracle. Je dors, je chante, et c’est tout.

Autre chose que vous souhaitez encore accomplir ? A 74 ans ? je ne sais pas, je veux être en bonne santé pour mes enfants et mes petits enfants, continuer à venir et à chanter au Maroc, et avoir un bon appétit et bien dormir.