« L’avantage du Maroc est très grand par rapport à la Chine »

L’Afrique est le nouveau «Safari» des investissement des puissances émergentes qui semblent détrôner les partenaires historiques (USA, France) du continent. La Chine est la plus présente des BRICS en Afrique avec même des partenariats militaires au delà de la coopération économique. Cependant, l’Inde affiche un modèle plus prometteur au vu de ses offres technologiques et de son modèle démocratique. Le grand spécialiste de la Chine, Philippe Hugon, professeur et chercheur à l’IRIS, pense que le Maroc peut aussi se démarquer dans l’offensive économique en Afrique et peut profiter des projets triangulaires avec la Chine. C’est en marge du Colloque International de Géopolitique et de Géo-économie organisé par l’ESCA sur « L’Afrique face aux BRIC, Vers des relations renouvelées » que le professeur est largement revenu sur cette course effrénée des IDE en Afrique avec toutes les différentes approches des uns et des autres.

L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Aujourd’hui l’Afrique est conquise par plusieurs puissances notamment les BRICS qui dépassent même les partenaires historiques. Quel est le poids actuel de la Chine en Afrique ? Philippe HUGON : Aujourd’hui le poids de l’Afrique par rapport à ce qu’on appelle les nouvelles puissances émergentes, les 5 BRICS, est très important dans tous les domaines. Dans le commerce de 200 milliards de dollars, à peu près, de relations commerciales, dans le domaine des IDE, dans le financement. Dans les infrastructures, il s’agit de ce qu’on appelle les packages-deals, c’est-à-dire l’accès aux ressources naturelles de l’Afrique moyennant le financement d’infrastructures de la part de la Chine. Il y a également le poids des diasporas chinoises en Afrique, on parle aujourd’hui d’environ 1 million de chinois. La Chine pèse aussi en tant que seconde puissance économique mondiale. Donc, c’est un poids relativement important de la Chine en Afrique.

Comment explique-t-on le succès du modèle chinois comparé à des pays comme l’Inde, la Turquie ? Il est important d’analyser la Chine par rapport à d’autres puissances, que vous avez citez, notamment l’Inde et la Turquie. L’Inde est dans un modèle plus basé sur l’innovation technologique, sur l’inventivité par la maîtrise des services. De même, l’Inde compte des compétences et des multinationales premières au monde dans le domaine informatique notamment le software contrairement à la Chine qui est dans le hardware (fabrication du matériel). D’autre part, il faut rappeler que l’Inde a un modèle démocratique. L’Inde a un modèle qui s’avère répondre à plusieurs défis. On peut citer comme exemple des pays qui sont liés au modèle indien comme l’ïle Maurice, à l’Afrique du Sud. Il ne faut pas oublier que l’Inde a une dynamique économique beaucoup plus importante maintenant que la Chine. La Chine connaît un ralentissement de sa croissance, officiellement 6%, mais je pense que c’est moins, alors que l’Inde est plutôt dans un taux de croissance des plus élevés au monde. Les diasporas indiennes sont aussi présentes particulièrement en Afrique orientale et sont centrales pour comprendre l’économie de la Tanzanie, de l’Ouganda, du Kenya... Quant à la Turquie elle est très présente mais actuellement la crise du régime politique turc fait que sa présence tend à s’effriter dans certains domaines. Donc, pour la Turquie je serai plus dubitatif. Très nettement elle est en train de développer sa présence en Afrique avec bien évidemment le même problème, on est dans le court terme ou le moyen terme. Est-ce-que ce sera le devenir de l’Afrique avec les BRICS, je ne peux pas le dire.

Alors, pour vous entre ces 3 puissances la Chine, l’Inde et la Turquie, ou une autre puissance comme la France, qui pèsera le plus en Afrique d’ici 2020 ? Je ne pourrais être catégorique. Tout dépend de la manière dont la Chine va régler son modèle. Elle avait au fond un modèle tiré par l’exportation qui est une politique mercantiliste étant elle même appuyée par les financements gratuits à taux d’intérêt nul des routes et de l’Etat. Aujourd’hui, la Chine a des problèmes liés à la croissance et aux risques de remise en cause de la paix sociale. En effet, elle cherche à se recentrer dans son espace national notamment vers l’intérieur cherchant plus une relance la consommation que par l’exportation. On n’est pas du tout dans cette configuration par rapport à l’Inde qui est beaucoup plus dans une logique moins exportatrice que la Chine mais avec une présence diversifiée. Si je prenais un pari, je dirai que les parts de marché seront croissantes pour les entreprises indiennes. Cela s’explique par le fait qu’elles sont plus autonomes par rapport aux pouvoirs politiques alors que celles chinoises sont liées à l’appareil d’État au niveau central. Je pense donc que les entreprises indiennes auront plus de souplesse pour s’adapter à un certain nombre de mutations et qu’il y a des domaines ou l’Inde a des compétences dans les services, dans les énergies renouvelables, des domaines de frugalité compatibles avec des taux de pauvreté. Je mettrai l’Inde comme futur partenaire croissant. Ça ne veut pas dire que l’Inde sera présente dans tous les pays puisque la Chine enregistre une plus forte présence en Afrique.

Le Maroc aussi se met à l’offensive africaine. Quel peut être l’avantage concurrentiel du Maroc par rapport à la Chine ? Je pense que l’avantage du Maroc est très grand par rapport à la Chine. Il y a une tradition historique et une proximité géographique. Le Maroc a, très nettement, repris un contrôle qu’il avait avant les caravelles qui ont remplacé les caravanes. Il est très présent notamment avec des secteurs de très grande compétitivité comme le secteur de l’hydraulique, le secteur de la banque, l’architecture, l’urbanisme, les BTP etc. Et puis le Maroc est Africain. C’est quant même quelque chose qui compte. Le Royaume peut jouer évidemment du fait qu’il a un Islam malékite qui en même temps est un moyen d’influence par rapport à un islam salafiste ou un islam wahabite. Donc, dans le soft-power cet élément religieux compte. Il y a aussi actuellement une réintégration au sein de l’Union Africaine d’ici quelques mois. En somme je dirai que la possibilité du Maroc de trouver des positionnements est très grande d’autant plus qu’il est un hub. De ce fait le Maroc a une situation subalterne par rapport aux pays européens et sa position dominante en terme de technologies par rapport aux pays du sud. Je considère en plus qu’il faut une politique africaine du Maroc. Dans un premier temps, on note une vraie volonté du Roi de porter cette dynamique d’un Maroc ouvert sur l’Afrique. Dans un second temps, il ne faut pas toujours considérer qu’on est dans des relations de simple concurrence. Il peut y avoir des complémentarités avec des projets triangulaires comme il y en a entre le Maroc et la Chine pour l’Afrique. C’est une perspective du futur. Globalement cela peut aboutir à une complémentarité riche en termes d’échanges de technologies, de division du travail. Et ces montages triangulaires sont très prometteurs ✱