Mystère d’état
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In Amenas La prise d’otages arrange l’Algérie plus qu’elle ne la dérange, lui permettant de se poser comme le seul acteur régional capable de combattre le terrorisme.

Deux semaines après la prise d’otages de Teguentourine en Algérie, les conditions et le dénouement sanglant de cette opération sur un site du géant pétrolier britannique BP sont loin d’être éclaircis. On le sait, Aqmi - qui a revendiqué l’attaque - affirme avoir voulu punir Alger d’avoir « ouvert son espace aérien à la France» lors de son offensive contre les islamistes armés qui terrorisaient le nord-Mali.

Le problème, c’est que cette information, comme la totalité de celles dont on dispose, sont impossibles à vérifier car elles ont une seule et unique source : le DRS, les services de renseignement algériens. Les quelques témoignages des otages n’y changent rien car ils ne peuvent que raconter la terreur qui a régné sur le site…Tout le reste - confidences, révélations et autres organigrammes du groupe de Mokhtar Ben Mokhtar présenté comme un Ben Laden du Sahel par des « experts » connus ou plus obscurs - relève des seules autorités algériennes. Mais en dépit de son importance, cette information est rarement mentionnée.

Ahurissant arsenal

Il est en outre impossible de comprendre comment une « brigade armée » d’AQMI a pu faire irruption dans les sites d’hydrocarbures qui figurent parmi les plus sécurisés du monde et où nul ne peut pénétrer, surtout pas les Algériens, sans autorisation. Qui plus est à In Amenas, l’un des plus importants bassins gaziers du pays (15% du gaz exporté par Alger).

L’exhibition de l’arsenal ahurissant que les terroristes auraient caché dans cette base épaissit encore le mystère alors qu’elle visait à prouver leur dangerosité : fusils mitrailleurs et d’assaut, mortiers avec roquettes, missiles avec rampes de lancement, grenades…Il faut ignorer le contrôle implacable des régions gazières en Algérie pour ne pas s’interroger sur la possibilité d’y faire entrer et d’y dissimuler autant d’armes de guerre.

Certes, les versions distillées par Alger évoluent pour s’adapter aux questions qui se posent partout. Ainsi, les ravisseurs auraient « bénéficié de complicités à l’intérieur du complexe » ; l’arsenal découvert prouve que l’assaut, fut-il brutal et précipité, a évité un « désastre » puisque « les terroristes » voulaient faire exploser le site. Enfin, le lourd bilan - 38 otages, dont 37 ressortissants étrangers, et 29 assaillants tués – fait partie « comme partout » des risques inhérents à une telle opération malgré « l’expertise avérée mondialement des forces spéciales algériennes ».

Confusion entretenue

Ces contre feux allumés par Alger – dont la reconnaissance d’« erreurs » des forces de sécurité - rendent très hasardeux l’établissement des faits. D’autant que foisonnent des analyses « crédibles » car mêlant la situation actuelle à des constantes de la vie politico-institutionnelle algérienne: ainsi la brutalité de l’assaut relèverait du « conflit entre le président Bouteflika et les généraux qui seraient opposés au survol du territoire algérien par les avions français » ( ?!). Chercheur à Sciences-Po, Luis Martinez est plus prosaïque : « La réponse violente d’Alger est proportionnelle à son incompétence. Alors qu’elle savait que la guerre couvait à ses portes, pourquoi n’a-t-elle pas sécurisé ses propres sites? Pourquoi n’a-t-elle pas pris des dispositions concernant ses frontières? », interroge ce spécialiste du Maghreb.

Dans cette confusion entretenue, une chose est sûre : la prise d’otages arrange l’Algérie plus qu’elle ne la dérange pour trois raisons majeures. Survenant au moment où la France tentait de sortir son intervention au Mali de l’isolement, l’attaque d’In Amenas avait de quoi dissuader les Européens de rejoindre les forces françaises sur le terrain.

De l’apprenti sorcier à la victime

Elle tombe aussi à point pour désamorcer les soupçons qui pèsent sur les services secrets algériens pour leurs relations très ambigües avec les groupes salafistes du Sahel. Au fur et à mesure de la détérioration de la situation au Mali, des officiels français disaient en effet tout haut ce qu’ils murmuraient auparavant tout bas : à savoir que toute la logistique d’Ansar Dine est assurée par Alger.

La volonté de faire taire ces suspicions explique d’ailleurs que l’Algérie ait approuvée le déploiement français au Mali après s’y être fermement opposée. Mais elle sait que cette « bonne volonté » ne suffit pas à convaincre les Occidentaux et les Africains qu’elle n’a pas joué un jeu trouble dans la déstabilisation du nord Mali pour mieux se poser ensuite comme le seul acteur de la région capable de ramener la paix. In Amenas délivre dès lors un message clair : comment accuser l’Algérie de jouer les apprentis sorciers quand elle est elle même visée par le terrorisme et qu’elle en est la première victime ?

Enfin, cette opération montre le bien fondé de la thèse algérienne. A savoir qu’une intervention militaire au Mali entraînerait une déstabilisation de la région…qui s’étend déjà à l’Algérie.

Tout cela n’empêche pas que la prise d’otages a probablement dérapé et échappé au contrôle du DRS. C’est une constante des opérations où des manipulations de groupes armés entrent en jeu, chaque acteur pouvant avoir, à un moment, des intérêts spécifiques l’amenant à jouer sa propre partition. Avec un effet boomerang qui risque pendant quelque temps de faire pâtir le secteur énergétique en provoquant l’arrêt de chantiers de développement d'hydrocarbures.

Démonstration de force

Tout cela montre que la situation est plus complexe qu’il n’y paraît et qu’Alger a su transformer un épilogue sanglant pas forcément prévu en démonstration de force anti-terroriste, martelant « ne plus pouvoir continuer à faire face seul au terrorisme international » et exigeant un « soutien ». « Au cours des vingt dernières années, les affaires d’otages ont été exploitées à des fins politiques par le DRS (…)Il est clair qu’il contrôle toujours certains groupes jihadistes mafieux opérant au Sahel sous le label d’Aqmi. Ce serait une grave erreur de devenir nous mêmes les otages du DRS et de leurs suppôts au Maghreb », résume le professeur John R. Schindler, ancien de la NSA (Agence de Sécurité Nationale américaine) dans un article publié le 22 janvier par The National Interest sous le titre « La main cachée de l’Algérie ».

Du coup, l’unanimisme qui a salué, en France, le dénouement de la prise d’otages peut surprendre. A l’inverse de Londres et Washington, Paris n’a émis aucune critique sur la manière dont Alger a mené l’assaut sans consulter aucun des pays dont des ressortissants étaient retenus. En réalité, la France a trop besoin d’Alger pour le bon déroulement de son intervention militaire au Mali pour se permettre la moindre réserve. Quant à la stabilisation de ce pays, elle restera un leurre si l’Algérie ne contrôle pas ses frontières pour empêcher les djihadistes de se réfugier sur son territoire et si elle ne cesse pas de les approvisionner. « La France est tombée dans le piège algérien car l’Algérie a inversé le rapport de forces. Si bien qu’aujourd’hui, Paris est totalement redevable. Cette entente scellée lors de la visite de Hollande à Alger doit survivre à tous les aléas. On va devoir tout accepter d’Alger dorénavant », conclut le chercheur Luiz Martinez dans un entretien au quotidien Libération. « C’est du pain béni pour Alger d’avoir la France qui légitime cette action violente et qui applaudit. C’est une situation terrible au regard de notre position il y a vingt ans sur ce même régime autoritaire. » завод домов