Nassim Abassi « Mes films poussent à réfléchir, je ne prétends pas changer le monde ! »

Primé à l’international pour « Majid », le réalisateur et scénariste marocain nous parle de son dernier long métrage «Mon oncle» présenté en Hors Compétition au dernier festival du film de Marrakech ( sortie nationale le 22 février 2017 ). Entretien réalisé par Kawtar Firdaous

L’Observateur du Maroc et d’Afrique: Votre dernier film « Mon oncle » a été sélectionné au dernier Festival de Marrakech en Hors compétition. Quel est votre sentiment ?

Nassim Abassi : Je suis très fier surtout qu’il a été projeté après l’hommage d’Abderraouf…Vous savez, ce projet a été refusé 2 fois avant qu’il ne se concrétise, je me suis battu pour qu’il soit accepté par le CCM, et vu qu’on a eu un petit budget, 3 millions de DH, c’était difficile de faire les choses dans les normes (respecter le barème des salaires, le quota des techniciens…) ! Sa projection ici est une première mondiale.

Le film parle des déboires des acteurs au Maroc, pourquoi ce sujet ?

D’abord, je voulais absolument faire un film avec Abderraouf. C’est un artiste que j’admire depuis ma plus tendre enfance et avec qui j’ai tourné tous mes films au Maroc, notamment Bila Houdoud pour la télé et Majid au cinéma, mais comme il n’avait interprété que des petits rôles, je voulais lui offrir l’opportunité d’incarner un rôle principal. Lorsque je suis retourné au Maroc, après avoir passé 15 ans en Angleterre, j’étais étonné de voir que personne ne le sollicitait dans le milieu alors qu’il a un talent fou, je me rappelle quand j’étais petit, ses sketchs nous faisaient tordre de rire, mon père et moi…Et lorsque j’ai commencé à écrire le film, c’est à lui que j’ai pensé en premier. Ensuite, je voulais parler de la situation des acteurs au Maroc, de leurs conditions de vie difficiles et de la précarité de leur situation financière. En fait, je voulais rendre hommage à l’acteur marocain, tout en faisant un clin d’œil à Abderrahim Tounsi, à sa carrière, à ses sketchs. « Mon oncle » est donc un hommage aux acteurs marocains et en particulier à Abderraouf et sa troupe.

Est-ce que c’était facile de le diriger ? Vous savez, c’est un acteur professionnel qui est très à l’écoute. Il est coopératif et aime être dirigé ; des fois, il fait des propositions, mais en aucun cas, il ne cherche à faire la star. ça ne le dérange pas de faire plusieurs répétitions, il se donne à fond car son seul souci c’est de faire un bon film. Il m’amuse beaucoup sur le plateau de tournage parce qu’il fait toujours des jeux de mots, j’adore son humour …

Pour la direction d’acteurs, êtes vous plutôt cadré ou adepte de l’improvisation ?

Je ne suis pas strict, pour moi, un film est une collaboration, avec les acteurs, les chefs opérateurs… Du coup, si tu ne prends pas en considération les propositions des autres membres de l’équipe, tu ne seras pas un bon réalisateur ! En fait, plusieurs idées innovantes émanent des acteurs, Khyari par exemple c’est quelqu’un de spécial parce qu’il excelle dans l’art de l’improvisation et ça marche.

Pourquoi avoir choisi Alia Erkab pour interpréter l’actrice principale ?

J’ai découvert Alia dans un film de Hakim Nouri « Qalaq » lorsque je vivais en Angleterre, et j’ai été fasciné par son jeu naturel. J’ai tout de suite pensé à elle pour incarner l’héroïne de « Bila Houdoud » parce que j’avais besoin d’une femme forte qui était capable de pratiquer les arts martiaux, et franchement elle m’a épaté, elle s’est beaucoup investie pour le rôle, elle a fait du sport pour maigrir, elle n’était jamais découragée par les répétitions éprouvantes, j’étais emballé par sa persévérance, du coup, je l’ai demandé en mariage. à l’époque, on avait beaucoup parlé de la condition de l’actrice marocaine, ses problèmes, elle m’avait raconté des anecdotes, je prenais des notes et donc, ce film est basé sur des situations vécues et des faits réels.

C’est facile de diriger sa femme?

Nous sommes tous les deux des professionnels et pendant le tournage, chacun endosse son rôle, moi celui du réalisateur et elle celui de l’actrice. J’apprécie le professionnalisme des acteurs qui s’impliquent à fond dans le rôle.

à quand remonte votre passion pour le cinéma ?

Quand j’étais petit, Le lisais beaucoup de bandes dessinées et à 10 ans, j’ai commencé à dessiner mes propres BD, parce que je me rendais compte que le personnage arabe dans ces histoires était toujours méchant, donc, je voulais faire une histoire avec un héro musulman ou marocain, j’ai alors créé un superman marocain « Hilal »… je passais mes journées entières à dessiner, le cinéma n’est que la continuité normale de cette aventure. Qu’il s’agisse de BD ou de cinéma, il n’y avait pas à l’époque assez d’histoires de chez nous, je voulais donc faire des films qui parleraient de notre histoire, je suis même parti en Angleterre pour les faire en anglais pour qu’on puisse les voir partout dans le monde. J’ai essayé de faire carrière en Angleterre pendant 15 ans, j’ai étudié au Surrey Institute of Art and Design à Londres, et je me suis rendu compte que c’était très difficile, la concurrence est rude là bas ! D’ailleurs, « Majid », je comptais le faire en anglais mais faute de financement, j’ai dû le réaliser au Maroc. Vous savez, dans mes films, il y a toujours ce souci de projeter une image de nous à l’autre ou à nous mêmes. Dans certaines scènes de Majid, je fais référence à l’Islam, j’essaie de montrer un beau visage de l’islam… J’ai vécu longtemps à l’étranger, je suis conscient des clichés qu’ils ont par rapport à nous, que nous Marocains avons par rapport à l’Islam…Pour moi, le cinéma sert à raconter une histoire d’une manière à la fois divertissante et touchante, une histoire capable de faire réfléchir les gens. Ce sont des films humanistes qui poussent à réfléchir, je ne prétends pas changer le monde !

Comment voyez-vous l’évolution du cinéma au Maroc ?

Nos films sont financés par l’Etat à 98% et pour avoir une industrie cinématographique, il faut que le secteur privé investisse le domaine ! Cette situation est dangereuse parce que les salles ne cessent de fermer. Vous imaginez qu’à Mohammedia, une ville de 350 000 habitants, il n’y a pas de salle de cinéma ! J’ai justement tourné « Majid » à Mohammedia, il a été montré dans le monde entier mais pas dans la ville où il a été filmé, c’est paradoxal !

Vos projets ?

Je compte faire un film sur le personnage d’Abderraouf, une sorte d’hommage par rapport au personnage qu’il a créé. C’est une comédie grand public, une adaptation de ses meilleures pièces théâtrales, pour les jeunes qui ne le connaissent pas. Il ne reste plus qu’à trouver des fonds privés pour le financer ✱