Libre cours
Naim KAMAL

POÈTE, INTELLECTUEL ENGAGÉ, ABDELLATIF LAÂBI a un rêve. Que la laïcité soit « une fois pour toutes comprise non comme un athéisme militant, une hostilité déclarée aux croyances religieuses, mais bien au contraire comme un devoir fait à l'État d'être le garant et le protecteur du libre exercice des croyances dans leur diversité, et également, cela doit être dit clairement, de la non croyance. Toute atteinte à ce libre exercice, toute pratique et tout discours de haine à son encontre devront être sanctionnés par la loi. »

Cette déclaration rendue publique en arabe et en français annonce un essai, Un autre Maroc, à paraître en mars prochain. Ses détracteurs ne vont pas hésiter un seul instant pour conclure que cette sortie sur un sujet qui fait polémique résonne comme une bande annonce. Il faut donc lever toute équivoque et crâner. Qu’il en soit ainsi ! Le coup de pub est légitime et n’enlève rien à l’intérêt du débat que son initiateur souhaite raisonné. « Si nous arrivons, ajoute-il, à le mener sans exclusions ni contre-exclusions, sans appel au lynchage, nous aurons, pour demain et surtout pour après-demain, ajouté aux fondations de la Maison marocaine une nouvelle base assurant à chacun de nous et au-delà de nos différences sa sécurité, le respect de sa dignité, son plein épanouissement intellectuel et spirituel. » L’intention est bonne mais il y a peu d’espoir pour qu’elle soit entendue.

DEPUIS QUE LAÂBI EST LAÂBI, IL A TOUJOURS SOUHAITÉ UN AUTRE MAROC Au début, ce sont la dictature du prolétariat et les brigades rouges mobiles qui le faisaient bander. Il en a payé le prix ; plus de huit ans de prison. Depuis il en est revenu, du moins je crois et l’espère. Mais sans vraiment changer. Ce poète est un doux rêveur, un coureur d’utopies incorrigible. Il en faut dans chaque société. Chaque culture a besoin de ceux qui sont toujours ailleurs, à côté, devant, derrière, qui poussent, tirent ou retiennent pour qu’aucun collectif humain ne crève de léthargie. Au terme de sa déclaration, Abdellatif Laâbi demande dans les cimetières marocains un « carré laïc» où un non croyant né musulman puisse reposer aux côtés de son épouse athée née chrétienne.

Ultime voeu encore légitime, mais qui devra attendre d’autres générations. Avec beaucoup de chance celle de notre descendance directe. Le poète qui entend poser des jalons « pour demain et surtout après demain » en a conscience. Cela n’enlève aucune actualité à la question de la laïcité. Le croyant laïc que je suis adhère sans réserve à ce qu’elle soit le fondement du vivre ensemble dans la tolérance et en bonne intelligence. Seulement le rêve ne dure pas longtemps et s’effondre quand je lis et écoute le discours islamiste. Pour l’instant il faut conclure au dialogue impossible et si effectivement la laïcité n’est pas incompatible avec l’Islam, elle l’est par contre avec eux. Ce qui ne signifie nullement renonciation et démission. bondage