Faiza Antri Bouzar « Je ne suis ni pour la dictature du voile ni celle de la nudité ! »

Avec sa nouvelle collection « Venise, les portes de l’Orient », la styliste algérienne connue pour sa touche novatrice et ses créations alliant tradition et modernité a subjugué le public, lors de l’Oriental Fashion Day à Paris, avec ses tenues abordant avec grâce le thème des cultures entrecroisées.

 

Après des études de Commerce et Marketing en France, Faiza Antri Bouzar, petite fille de joailliers algériens, rentre au pays pour faire tourner l’entreprise familiale. Fière de ses origines et de son patrimoine traditionnel, elle décide de se lancer dans le monde de la haute couture. Guidée par sa mère qui lui transmet les valeurs de partage et d’ouverture ainsi que son amour pour l’art de la broderie, de l’élégance et du raffinement, elle crée des modèles inspirés des tenues d’antan qu’elle réinvente à sa façon. Artiste engagée et farouche optimiste, celle qui a été élevée par son père tel un « capitaine » et qui se considère comme « citoyenne du monde », garde l’espoir et le rêve fou de voir le monde pacifié, où toutes les cultures se mélangeraient et se fréquenteraient avec respect, joie et intelligence. Un monde où l’être humain se sentira libre d’être lui-même et où il serait libre de voyager et de créer selon sa propre volonté. Véritables hommages à la femme, ses collections singulières sont conçues pour que chacun femme puisse se sentir heureuse et belle dans son corps quel qu’il soit. Ne cherchant pas à lisser les formes féminines, elle encense, les suggère et les souligne.

Héritière d’une culture arabo-berbère, la créatrice algérienne âgée de 40 ans, nous a fait voyager grâce à ses somptueuses tenues brodées et perlées, à travers les portes de Gêne et Venise lors de la 1ère édition de l’Oriental Fashion Day qui s’est tenue le 11 mars 2017 au théâtre du Gymnase à Paris.

 

Qu’est ce qui vous a inspiré pour votre collection « Venise, les portes de l’Orient » ?

Chaque année, j’ai une histoire à raconter, et là en l’occurrence, ça renvoie à cet amour passionnel entre Orient et Occident qui était très important pendant la renaissance. A cette époque, Venise était très riche et très prisée car elle était orientée vers l’Orient, vers la Perse, Constantinople et la Grèce. Et comme nous Méditerranéens, nous sommes Algériens, Maghrébins, Africains avec un héritage antique européen, ça coulait de source. C’est une sorte de mise en scène de nos cultures entrecroisées. En fait, pour chaque thème, je m’inspire d’un pays donné. En 2015 par exemple, pour ma collection en hommage à Ibn Arabi et Rumi en Andalousie, je m’étais inspirée des tenues hispano-ottomane ; ce n’était pas la tenue typiquement espagnole, je racontais plutôt mon histoire. Une histoire que je raconte à ma façon, c’est comme un roman, à l’image d’un peintre qui s’inspire d’une œuvre donnée, Picasso s’est bien inspiré du tableau de Delacroix pour les femmes d’Alger alors qu’il n’avait jamais mis les pieds en Algérie ! Sauf que le peintre a besoin de peinture et de toile, moi, j’ai besoin de tissu. L’art est justement cette liberté qui te permet de faire ce que tu veux. Je me sens chez moi partout, où que j’aille. Je suis une citoyenne du monde.

 

Le velours est omniprésent dans cette collection.

Oui, effectivement, le velours est à la fois chic, élégant et noble. Et comme c’est l’hiver et qu’il fait aussi froid en Afrique du nord, on retrouve beaucoup le Karakou algérois (petites vestes que portaient les matadors). Vous savez, en Algérie, on appelait le velours « le Genois » (le velours de Gènes), en référence justement à la route de la soie, au passage d’Orient vers l’Occident. J’utilise aussi du brocard, tafta et de la soie sauvage pour les serouals.

Vous avez inventé de nouvelles techniques de broderie ?

Oui, je prends les matières premières habituelles en Algérie comme la « Fetla »  qui est un fil typique à l’Algérie, et je crée avec des choses différentes. Je mélange le « kentir », et crée des dessins assez particuliers… Et comme je suis scientifique de formation, ça ressemble des fois à des formes cellulaires, de mitochondrie,… Vous savez, je suis autodidacte, je n’ai jamais fait des études de dessins ni de couture d’ailleurs. Il y a  8 ans, j’ai tout laissé tomber pour me consacrer à la mode, c’est un domaine qui me passionne et mes créations sont pour moi mes propres tableaux. Prenez la « Houwichiya » par exemple, c’est une technique de broderie très ancienne prise des Ottomans. Quand les femmes faisaient de la couture à la maison, il leur restait toujours des chutes, et donc au lieu de les jeter, elles en faisaient des vestes, des robes mais surtout des tableaux qu’elles accrochaient à la maison. On a donc emprunté cette technique et on en a fait des vestes.

 

Pourquoi avoir choisi de tout laisser tomber pour vous orienter vers la mode ?

Je travaille dans une entreprise familiale, dans la bijouterie et je voulais absolument faire quelque chose qui me plaise. Un jour, un couturier m’a conseillé de concevoir mes propres créations même si je ne m’y connaissais pas du tout en couture. Il m’a dit : « il suffit d’avoir des idées », et venant d’un professionnel comme lui, ça m’a encouragé à me lancer.

Vous avez le souci du détail ?

Vous savez, les tenues, c’est très ornemental, et comme je fais en sorte que mes modèles soient des petits bijoux, je suis très enquiquinante, et c’est ça la haute couture. J’accorde beaucoup d’importance aux tissus, au mariage des couleurs, aux pierres utilisées  (swarovski, émeraudes), aux accessoires…Pour cette collection, j’ai tenu à habiller le visage, en optant pour des masques, on a même les « 3jar » : (sorte de hijab brodé typiquement algérien). En fait, c’est cette histoire des petits détails qui m’intéresse, et des fois, en racontant l’histoire des femmes des montagnes, on a l’impression que c’est folklorique, pauvre, mais c’est notre histoire, il ne faut pas l’oublier. C’est un hommage à ces femmes qui galèrent dans les montagnes, dans la misère, pieds nus, pour moi, c’est toujours un travail engagé. Je suis pour que la femme soit libre, si elle veut se voiler, elle a le droit, si elle veut se dénuder, elle est libre de le faire. Je ne suis ni pour la dictature du voile ni celle de la nudité !

 

C’est un peu votre côté engagé ?

Aujourd’hui, on vit dans une époque où il y a tellement de guerre et de morts qu’il faut parler, communiquer, les enfants ont besoin de savoir qu’il y a autre chose. Il faut créer et j’aime bien la phrase de Stéphane Hessel : « Créer, c’est résister. Résister, c’est créer ».

On voit souvent mes habits comme de belles tenues, mais le message que je véhicule est souvent un message de combat. Parce que la femme partout dans le monde, et pas seulement la femme musulmane, doit se battre. Après tout, ça ne fait qu’un siècle qu’on a des acquis, sur une histoire millénaire de 5000 ans ! En Algérie, ils ont du mal à me caser, en fait, je suis à la fois styliste, artiste et artisane.

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