Les grandes menaces selon Mike Pompeo le directeur de la CIA
Mike Pompeo chez le CSIS

Nous sommes le 13 avril 2017. Le directeur de la Central intelligence agency (CIA) américaine effectue sa première sortie ou il va dévoiler quelques aspects du travail de l’agence de l’agence qu’il dirige. Mike Pompeo était l’invité du Center for strategic and international studies (CSIS), où il a était questionné par Juan C. Zarate, conseiller pour l’Initiative Menaces transnationales et Droits humains du Centre. L’entretien était très long, il a duré près de deux heures, L’Observateur du Maroc en a retenu quelques passages liés à l’actualité internationale la plus chaude.

 

J.C. ZARATE: Où va la menace terroriste? Et quelle est notre stratégie pour lutter contre ce phénomène ?

DIRECTOR POMPEO: La menace du terrorisme islamique radical est réelle. Elle persiste, et va certainement durer aussi longtemps que je serai dans ce poste. Nous avons fait de grands progrès en Irak, en reprenant le contrôle d’une grande partie du soi-disant califat. Nous avons également accompli de grands progrès en Syrie, non seulement par les Etats-Unis, mais grâce à un effort collectif. Cependant, il s’agit d’une menace qui ne cesse de se métamorphoser et de s’étendre  d’une manière difficile à prévoir et à contrôler.

Nous l'avons vu dans leurs opérations cybernétiques. Nous l'avons vu dans leur capacité à inspirer des menaces ici dans notre propre pays. Nous avons vraiment engagé une multitude de ressources pour nous attaquer ce problème. Et nous avons fait d’énormes progrès dans ce sens ces dernières 15 à 16 années depuis le 11 septembre. Cela ne fait aucun doute. Nous avons la capacité de les identifier dans bien des cas. Mais nous devons atteindre la perfection pour assurer la sécurité des gens. C'est un objectif extrêmement difficile.

Je m’inquiète de ce qui vient après : Où iront ces terroristes ? Les Européens - Je viens tout juste de rentrer de Londres - sont très préoccupés par le retour de ces terroristes. Ils sont tout près d’eux. En plus il est beaucoup plus facile de faire le voyage vers les destinations de conflit. Nous devons donc, tous ensemble, les États-Unis et leurs alliés, garder une longueur d’avance sur ces terroristes. Nous progressons certes. Mais la lutte est permanente.

J.C. ZARATE: Etes-vous préoccupé par la situation en Turquie? Des élections très importantes sont prévues le week-end prochain.

DIRECTOR POMPEO: Oui.

J.C. ZARATE: Qu'est-ce qui vous inquiète en Turquie?

DIRECTOR POMPEO: La Turquie est un partenaire de l'OTAN. Et nous avons besoin qu’elle se comporte comme tel. Nous avons besoin d'elle en tant que partenaire. Et il y a plusieurs dimensions dans ce sens, juste ? On pensera aux problèmes liés au renseignement. Mais au sens large, les flux de financement par exemple. La Turquie a franchement fait un bon travail pour empêcher les terroristes étrangers d'accéder à la Syrie, il est beaucoup moins excitant d'y aller ces jours-ci qu’au cours des deux dernières années. Donc, il y a eu des domaines où la Turquie a voulu nous aider. Mais il y en a d’autres où elle n'a pas toujours été l'allié le plus productif. Ils sont formidables les Turcs. Ils nous ont permis de participer à des exercices très, très importants. Mais nous avons besoin d'être des partenaires à part entière contre les différentes menaces.

J.C. ZARATE: Votre premier voyage à l'étranger était en Turquie et au Golfe. Pourquoi ces destinations d'abord et qu'avez-vous entendu sur place ?

DIRECTOR POMPEO: Nous y avons d'importants partenaires en matière de renseignement qui nous aident au quotidien à assurer la sécurité de l’Amérique. Et je voudrais les remercier pour cela. Néanmoins, j’aimerais leur dire que j'attends davantage d’efforts. Que nous avons besoin d'un soutien accru afin de pouvoir lutter justement contre ces poches qui persistent dans des lieux qui financent la terreur, et qui éduquent les terroristes dans leurs mosquées. Je voulais qu'ils sachent que cette administration souhauite qu'ils réfléchissent à ce problème différemment et qu’ils soient de véritables partenaires dans cette lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient.

J'ai eu une excellente réception, de bonnes conversations avec mes collègues des États du Golfe, les chefs du renseignement qui ont redoublé leur engagement pour aider les États-Unis à atteindre ce qui est franchement dans l’intérêt conjoint de tous.

J.C. ZARATE: En ce qui concerne les partenaires du Golfe, j’ai certainement entendu, je connais d'autres personnes qui ont des relations et des contacts dans la région. Ils sont assoiffés du leadership et de la puissance américains dans la région. Est-ce quelque chose que vous avez entendu dans les pays du Golfe lors de vos rencontres avec vos partenaires?

DIRECTOR POMPEO: Oui. Et je dirais même que cela ne se limite pas aux pays du Golfe.

L'une des choses qui m'ont surpris dans mon nouveau rôle est le temps passé avec nos partenaires de liaison. Souvent, cela occupe une bonne partie de mon temps. Et ce qu'ils exigent tous, c’est le leadership américain. Ils ne veulent certainement pas dire la division du 82e Airborne, n'est-ce pas? Non ce n’est pas ça. Ils ne veulent pas non plus qu’on investisse des moyens énormes du trésor américain. Mais il arrive souvent que, dans un monde dangereux, l'Amérique soit le seul pays à pouvoir présenter le leadership capable de résoudre une multitude de problèmes. Et je m'attends à ce que cette administration puisse assurer ce leadership.

J.C. ZARATE: Les Israéliens en parlent un peu dans le contexte du programme nucléaire iranien. C'était pendant les négociations. Ils ont parlé d'une zone d'immunité, la crainte que les Iraniens puissent atteindre un certain degré de capacité et un point où rien ne pourrait être fait au sujet du programme, en un sens. A-t-on atteint une zone d'immunité en ce qui concerne la Corée du Nord?

DIRECTOR POMPEO: Cela pose certainement un risque. Nous devons tous garder à l'esprit, en tant que renseignement, qu’il ne s’agit pas seulement d’une menace nucléaire, n'est-ce pas? Ce n'est pas une question unidimensionnelle. On peut avoir un pays qui a mis au point un missile balistique intercontinental, développé de manière à pouvoir lancer une charge nucléaire. Eh bien, nous parlons d'une force militaire conventionnelle assez importante qui peut nuire énormément à une grande ville du monde pas très éloignée de l'endroit où ils disposent de leurs systèmes d'armes. C'est donc une question très complexe. C'est la raison pour laquelle il s’agit d’un problème particulièrement difficile à résoudre et les administrations précédentes ne l'ont pas résolu.

Mais il parait que nous ne sommes pas loin de cet objectif. D’ailleurs le président Trump a affirmé très clairement que nous avons l'obligation d'empêcher que cela se produise.

J.C. ZARATE: Passons maintenant à la Syrie, car, en quelque sorte, la Syrie représente peut-être un changement dans la politique étrangère de l'administration US. Vous présenterez peut-être la chose différemment. Mais au moins la perception d'un changement, et certainement la perception que les États-Unis sont prêts à imposer des lignes rouges dans le contexte de l'utilisation de l’arme chimique. Je vais vous poser quelques questions dans ce sens dont une tellement intéressante et qui n'a pas été trop commentée : c’est à propos de la rapidité des évaluations qui ont été faites compte tenu des échecs passés de la communauté du renseignement et la nécessité de fournir des évaluations correctes et précises, comment les choses se sont passées dans ce cas précis? Comment ces évaluations ont-elles joué un rôle dans la prise de décision de cette administration.

DIRECTOR POMPEO: Vous pouvez imaginer que les questions de la première minute étaient: Qu'est-ce qui s'est passé? Dans la mesure où nous savons ce qui s'est passé, se posaient alors d’autres questions : qui l'a fait? Peut-on prouver cela? Dans quelle mesure est-ce que nous sommes sûrs de la portée et de la nature de ce qu'ils ont entrepris, et sous l'autorité de qui ? J'ai peut-être manqué une question là-dessus. Mais il y avait toute une série de questions qui venaient immédiatement à l’esprit de la communauté du renseignement.

Et, dans un ordre remarquable, l'une des choses les plus impressionnantes dans le lieu où je travaille, nous avons pu développer plusieurs hypothèses autour de cette question. Ensuite nous avons commencé à élaborer des modèles de faits qui soutenaient ou suggéraient que l'hypothèse n'était pas correcte. Et nous étions en mesure, en peu de temps, de fournir à notre président une évaluation de haute confiance selon laquelle c'était, en fait, le régime syrien qui avait lancé des armes chimiques contre son propre peuple à Idlib.

Je ne veux pas dire exactement combien de temps cela a pris, mais nous étions efficaces et rapides. Je ne parle de moi, mais de notre équipe. Il n’y avait pas que la CIA, mais toute la communauté du renseignement qui a accompli un travail rapide et de qualité, et nous nous sommes vraiment lancé un défi. Je peux vous assurer que nous avons été mis au défi par le président et son équipe. Nous n’avions pas droit à l’erreur. Et rien ne vaut le moment où le président vous regarde et dit : Pompeo, êtes-vous sûr ? Alors qu'il envisage une action en fonction de l'analyse que votre organisation a fournie. Et nous avons réussi. Je suis fier du travail que l'équipe a accompli pour aider le président à prendre la bonne décision encore une fois, face à cette atrocité qui a eu lieu.

J.C. ZARATE: OK. Peut-être une question sur la Russie et la Syrie. Pensez-vous que les Russes se sentent coincés à ce stade? Est-ce que vous pensez que les Russes sont plus enclins à s’emporter ? Ou est-ce l’heure à la diplomatie, peut-être, compte tenu de ce qui s'est passé?

DIRECTOR POMPEO: Eh bien, en tant que fournisseur de renseignements, nous avons présenté au président des scénarios alternatifs de la manière dont plusieurs parties pourraient réagir: les Russes, les Iraniens, les Syriens eux-mêmes, et le programme d'armes chimiques syrien plus particulièrement. Quelles autres options la partie syrienne pourrait prendre ? Je ne sais pas ce que les Russes vont conclure. J'ai eu la chance de voir un peu la façon dont les réunions se déroulent en Russie hier. J'ose espérer que les Russes se joindront au reste de la communauté internationale pour condamner les attaques qui ont eu lieu ici. Nous n’en sommes pas encore là. Mais en tant que directeur de la CIA, je dis qu’il faut vivre dans l'espoir.

J.C. ZARATE: Vous avez évoqué l'Iran qui est évidemment un acteur dans le contexte syrien. Mais d’une manière générale, un problème pour les États-Unis. Lorsque vous étiez un membre du Congrès, vous aviez porté un regard critique sur la JCPOA*. D’ailleurs, lors de vos audiences de confirmation, vous avez parlé de renoncer au rôle du critique et opter plutôt pour le rôle de l’assesseur pour déterminer si oui ou non l'Iran respecte les termes du contrat nucléaire. L'Iran respecte-t-il les termes de l'entente nucléaire et d’une manière générale, comment voyez-vous la menace iranienne au niveau régional ou même à l'échelle mondiale?

DIRECTOR POMPEO: Je ne veux pas trop parler de leur respect ou pas des dispositions de l'accord. Je préférerais présenter le rapport au président. Et c’est à lui de communiquer le contenu. Vous devez savoir que nous sommes engagés de manière active dans plusieurs autres tâches pour aider le président, tout en veillant à ce qu'il ait une bonne compréhension des points où les Iraniens sont conformes et là où ils pourraient ne pas l'être. Nous devrions tous être attentifs, compte tenu de ce qui s'est passé en Syrie. Il faudra revenir en arrière et relire ce JCOPA. Que dit-il à propos des centrales déclarées et non déclarées. Et dans quelle mesure l'AIEA aura-t-elle accès à chacun de ces deux groupes très distincts. Cela pourrait donc vous indiquer le niveau de certitude que nous devons  présenter au commandant en chef.

Et en ce qui concerne les Iraniens, ils sont en marche. Qu'il s'agisse de leur énorme capacité augmentée de lancer des systèmes de missiles vers Israël depuis le Hezbollah, leur force accrue à l’intérieur et aux alentours de Mossoul avec les milices chiites, leur collaboration et leur soutien aux Houthis pour lancer des missiles contre les Saoudiens - la liste des transgressions iraniennes a considérablement augmenté depuis la date à laquelle le JCPOA a été signé.

J.C. ZARATE: Pensez-vous que les Iraniens essayent d'utiliser des proxies non-étatiques comme une force d'influence?

DIRECTOR POMPEO: Certainement, dans chacun de ces lieux. Effectivement, le croissant chiite est sur le point d’être développé. Et ce n'est pas dans le meilleur intérêt de l'Amérique de permettre que cela se produise.

J.C. ZARATE: Passons à la Corée du Nord. L'administration a parlé de la fin de la stratégie de la patience stratégique. Des préoccupations concernant le développement du programme de missiles balistiques, au développement continu du programme nucléaire, en passant par l’éventualité - selon la presse - d'un autre test nucléaire à l’occasion du 105e anniversaire du fondateur de la Corée du Nord. Qu'est-ce qui vous préoccupe le plus à propos de la Corée du Nord ? Et pourquoi est-ce devenu une question brûlante et centrale pour l'administration américaine ?

DIRECTOR POMPEO: Oui, c'est tout simplement une évolution, n'est-ce pas? Plusieurs administrations ont essayé de faire face à la menace d'un missile balistique intercontinental capable de lancer une tête nucléaire vers les États-Unis. Et nous n’y avons jamais été aussi proches dans toute l'histoire de la Corée du Nord. Par conséquent, ce qui est différent aujourd’hui, ce qui est unique et nouveau, c’est le fait que chaque étape du processus, chaque test et chaque effort minimisent l’option définie pour l'empêcher et augmentent la probabilité d’obtenir une mauvaise décision -  après une journée difficile - de la part du leader de la Corée du Nord.

 

* Joint Comprehensive Plan of Action (JCPOA). Accord du 14 juillet 2015, Chine, France, Allemagne, Russie, Royaume Uni, Etats-Unis, Union européenne et Iran, à propos du programme nucléaire iranien.