BONGA « Je suis fier de partager la Semba avec le public marocain »

A 74 ans, la légende angolaise de la Semba connue pour sa voix rauque et éraillée, compte à son actif plus d’une trentaine d’album. Le parrain du blues de l’Afrique lusophone qui a fait sensation sur la scène du Bouregreg avec ses rythmes endiablés, nous parle de son dernier opus « Recados de Fora », un mélange de Semba, de Kizumba, de rebita angolais et de mornas cap-verdiennes.

Vous vous êtes déjà produit au Maroc mais c’est votre 1er concert  à Mawazine. Quel est votre sentiment ?

Je suis ravi de participer à un grand événement comme Mawazine, je vais donner le meilleur de moi-même et veiller à ce que mon spectacle soit une grande fête. Je suis fier de représenter mon pays, l’Angola et de partager avec le public marocain notre rythme de la Semba.

Que représente justement pour vous cette Semba angolaise ?

C’est la vie, la fête, la vie sans guerre, sans contradictions, à l’image des familles qui se retrouvent autour d’un feu, pour danser autour. La Semba se joue avec des instruments typiques traditionnels que nos aïeux nous ont délégués. Ça reflète le bon côté de l’Afrique, de l’Angola ; c’est ce que je représente, au-delà de mon engagement politique.

Vous avez toujours prôné la non-violence, la paix.

La Semba reflète surtout le sens de la famille. Dans le temps, nos portes étaient grandes ouvertes et nos voisins étaient les bienvenus ; aujourd’hui, tout cela s’est perdu ! Je chante pour dire que « nous étions ce que nous ne sommes plus aujourd’hui ». Et c’est dommage parce que c’était une vie pleine de joie, d’amour et de tranquillité, car même si les colons étrangers nous embêtaient, ils n’ont pas réussi à effacer notre culture, notre musique, notre rythme. A l’époque, j’avais même créé des groupes folkloriques parce que c’était la meilleure manière de préserver notre tradition.

Votre instrument fétiche le Dikanza (longue tige de bambou), c’est un peu votre manière de résister ?

C’est le symbole même de la Semba. Tous ces instruments typiques traditionnels sont des instruments de résistance, parce que c’est ce qui nous permet de rester fidèles à une identité, à un peuple qui existe toujours, qui résiste et qui ne renonce pas à son identité.

Vos chansons ont longtemps été interdites pendant la période de colonisation portugaise.

Oui, cette joie de vivre transmise par ma musique dérangeait les colons, à l’époque, personne n’osait jouer du Dizanka ! J’ai longtemps résisté et beaucoup de gens m’ont suivi, puis la Semba s’est exportée ailleurs avec les esclaves qui l’ont emmené au Brésil et à Cuba. Notre devoir en tant qu’angolais est de la préserver davantage.

Votre dernier album « Recados de Fora » c’est un peu un hommage à Cesaria Evora, où vous reprenez la célèbre chanson capverdienne Sodade que vous aviez chanté 25 ans avant elle.

Oui, Cesaria est toujours dans mon cœur. C’est une grande dame libre, émancipée, sa voix en velours est incroyable, on était de bons copains, on riait beaucoup, nos retrouvailles ont toujours été fantastiques… Mon nouveau disque qui vient d’apparaître, s’appelle « des messages d’ailleurs », et ce sont ces messages que je lance de n’importe où dans le monde à l’égard des miens ; les miens qui souffrent malgré le pétrole et les diamants dont regorge le pays ! C’est ridicule d’avoir tant de richesses alors que la plus grande partie de la population n’en bénéficie pas ! Mes chansons dénoncent justement ces injustices, les colons sont partis mais la corruption sévit terriblement. Ce n’est pas normal qu’une minorité s’enrichisse alors que la pauvreté galope !!!

C’est pour cette raison que vous avez refusé de vous installer en Angola ?

Oui, je me suis installé tantôt à Lisbonne, tantôt à Paris, et en 40 ans de carrière, je me suis plus produit en Europe qu’en Afrique et en Angola, on m’a même nommé chevalier de l’ordre des arts et des lettres à Paris. Mes spectacles sont joyeux, j’ai un public qui me soutient et qui comprend mon militantisme. En fait, je fais de mon spectacle une danse informative.

Dans vos chansons, il y a beaucoup de joie mais aussi beaucoup de « sodade ».

Oui, la nostalgie du pays, de la famille, des miens, des voisins…Tout ce monde qui m’accompagne, partout dans le monde et aujourd’hui, ça s’élargit davantage, même au Maroc !