Al Hoceima : La vérité sur ce qui passe

Ahmed Charaï a publié un long article dans le quotidien espagnol La Razon de ce mardi 30 mai 2017 sur le mouvement d'Al Hoceima, où il revient sur l'histoire de la région et explique certains aspects oubliés.

Si l'on se limite aux images, au flux d’informations sur les protestations d’Al Hoceima, sans les mettre dans le contexte historique, socio-économique et régional, on risque de s’égarer et de tirer des conclusions hâtives, peu pertinentes.

Le contexte historique d’abord. La région du Rif a connu des épisodes qui la singularisent par rapport au reste du Maroc. D’abord Abdelkrim El Khattabi et sa résistance au colonialisme espagnol, par le biais de la guérilla. La république du Rif est un concept occidental, puisqu’il se faisait appeler lui-même Emir et que son but ultime était de faire du Rif une base pour la libéralisation de l’ensemble de l’Afrique du Nord. La victoire de la bataille d’Anoual avait eu un retentissement international.

Ensuite, il y a eu l’affaire Abbès Messaadi. Ce dirigeant de l’armée de libération nationale marocaine a été assassiné après l’indépendance alors qu’il se rendait à une réunion avec la direction du parti nationaliste marocain Istiqlal. S’ensuit quelques mois plus tard, une rébellion rifaine, durement matée, par le Prince héritier de l’époque, Feu Hassan II.

Cependant, quelques semaines après son intronisation en 1999, le Roi Mohammed VI  visitera Ajdir, chef lieu de l’épopée d’EL Khattabi et prononcera un discours, avec des engagements sur la question amazighe et une reconnaissance de l’apport rifain à l’histoire du Maroc. C’est le vrai début de la réconciliation de l’État  avec le Rif, qui sera poursuivi par une attention particulière pour cette région.

Ironie de l’histoire, c’est à El Hoceima que  Mohammed VI effectue ses visites les plus longues et les plus nombreuses et passe ses vacances d'été en famille. On raconte que chaque soir, il partage un repas avec des familles de la région, loin des caméras .

Sur le plan économique, entre 1958 et 1999, on ne peut pas dire que les gouvernements successifs ont accordé un intérêt particulier à cette région. Pourtant la route de l’unité, construite grâce à une énorme mobilisation de bénévoles, a constitué le dernier projet d’infrastructures du Maroc indépendant.

Néanmoins, ensuite, il y a eu une marginalisation, pour des raisons politico-historiques. C’est un fait.

La nature ayant horreur du vide, des activités dites informelles, mais en fait délictueuses, se sont développées dans la région: Le trafic de drogues et la contrebande. A ces deux activités, s’est ajoutée l’émigration clandestine, après la fermeture des frontières européennes.

Depuis l’intronisation de Mohammed VI, le Rif, l’ensemble de l’Oriental est l’une des régions qui reçoit le plus d’investissements en infrastructures. D’abord, les routes, les aéroports, pour décloisonner la région. L’électrification du monde rural et l’habitat social, ont été performants.

Seulement, le séisme d’Imzouren et ses impacts catastrophiques ont obligé les pouvoirs publics à faire de la reconstruction une priorité, ce qui a retardé les autres chantiers. Pour rappel c’est durant ce séisme qu’une certaine défiance vis-à-vis de l'Administration est apparue clairement. Ce sont d’ailleurs les associations qui ont fini par distribuer les aides d’urgence, ce qui n’est pas à l’honneur de l‘efficience des services locaux de l’Etat.

Aujourd’hui, le Maroc lutte beaucoup plus efficacement contre le trafic de drogue et l’émigration clandestine. Les responsables espagnols et plus généralement européens, le reconnaissent régulièrement. Quant à la contrebande, elle régresse suite à la baisse des droits de douane. C’est de l’argent et des ‘’emplois’’ en moins.

Le grand échec des gouvernements, c’est le manque de vision pour un développement économique du Rif.

Il y a donc une population qui a perdu des revenus dérivés d’activités illicites, sans pour autant avoir accès à des emplois marchands.

C’est dans ce contexte global qu’il faut inscrire le mouvement de protestation d’Al Hoceima, qui n’est pas étendu au reste du Rif. C’est avec un événement malheureux, celui d’un poissonnier broyé alors qu’il tentait de récupérer de la marchandise saisie, qu’a débuté le mouvement. Mouvement d’indignation au départ, il s’est transformé en action revendicative.

Malgré les tentatives du gouvernement, ses promesses de répondre aux revendications jugées légitimes, le mouvement s’est poursuivi, sans aucune réaction répressive. Alors qu’il est établi que le congrès Amazigh, les barons de la drogue, les Islamistes extrémistes et les anciens marxistes, soufflaient sur les braises, chacun pour un objectif particulier. Les barons de la drogue ne cachent pas le leur, c’est obliger l’Etat à desserrer son contrôle sur les côtes méditerranéennes.

Ce qui a changé la donne, c’est l’intervention de Nasser Zefzafi, le leader autoproclamé, dans une mosquée. Le Maroc malékite refuse toute controverse, toute discorde au sein d’une mosquée. La commanderie des croyants s’appuie sur cette unité du rite. C’est donc, a un symbole de la Nation qu’il s’est attaqué, alors que c’est l’une des armes du Maroc pour combattre effectivement le terrorisme. Les heurts entre manifestants, beaucoup moins nombreux que d’habitude, et la police, ont prouvé l’existence d’un noyau aux visées dépassant les revendications sociales. Mais il ne faut en aucun cas utiliser ce fait pour occulter la réalité des problèmes sociaux. C’est tout l’enjeu des semaines à venir.