Eloïse Bella Kohn "La musique va au-delà des mots"

Agée de 25 ans, la jeune pianiste française, invitée à se produire dans plusieurs festivals en France et en Europe est appréciée pour la maturité de son jeu et la diversité de son répertoire musical incluant plusieurs grands cycles pour piano, comme les Variations Goldberg de Bach, les deux Livres de Préludes de Debussy, les dernières sonates de Beethoven ou encore l’intégrale de la musique de chambre de Poulenc pour piano et vents. Soliste prodigieuse et partenaire de musique de chambre recherchée, elle nous parle de son duo avec Dina Bensaid « Yadain » formé il y a 2 ans dans le but de transmettre via la musique un message de dialogue et de respect entre les cultures juives et musulmanes.

Vous avez commencé à jouer du piano très tôt à l’âge de 4 ans, grâce à vos parents.

Oui, bien que mes parents ne soient pas des musiciens professionnels, ils sont très mélomanes, ils m’ont inscrite à une école de musique Yamaha connue pour sa méthode japonaise très ludique et ses cours de groupe…et ça a bien pris. Ça m’a plu dès le début, après, vers l’âge de 8 ans à peu près, j’ai su que je voulais m’y consacrer à vie, je suis rentrée au Conservatoire de Paris à 15 ans, et graduellement c’est devenu une évidence avec le temps.

Lors du dernier festival des Alizés d’Essaouira, Vous avez joué en duo avec Dina Bensaid. Quel a été votre sentiment ?

En fait, j’ai déjà joué avec Dina Bensaid en ouverture du concert inter-religieux « Les religions à l’Unisson », avec l’Orchestre Philarmonique du Maroc. J’ai adoré jouer à Dar Souiri parce que l’endroit et déjà très inspirant, c’est magnifique, la mer, le bon air, les couleurs, les saveurs …et puis, c’est un lieu très chaleureux, on est assis proche du public, du coup, on reçoit une énergie très positive. Et historiquement parlant, il y a là une communauté juive et musulmane assez importante, donc, c’est émouvant de jouer ici.

Vous avez créé il y a 2 ans avec Dina Bensaid le Duo Yadain qui signifie les deux mains en arabe et en hébreu. Comment est née l’idée d’une telle formation ?

En fait, le vrai mot en hébreu, c’est Yadaim, et en arabe, c’est yadaine, donc, on a fait mix entre les deux mots. Dina et moi, on étudiait ensemble au Conservatoire de Paris, on avait les mêmes professeurs, on a toujours joué ensemble informellement et puis, on s’est dit que c’était intéressant d’officialiser notre duo pour transmettre un peu une image de dialogue, d’écoute et de respect entre nos deux cultures, juive et musulmane.

En 2016, lors d’une tournée avec l’Orchestre Philarmonique du Maroc, votre duo a participé au concert inter-religieux « Les religions à l’Unisson » ?

Oui, en Octobre dernier, je suis restée 2 semaines au Maroc, on a répété à Rabat avant de jouer au Théâtre Mohammed V, puis, on s’est produit à Casablanca, avant de finir à Marrakech. C’était une aventure incroyable, sous la direction du chef d’orchestre Jean-Claude Casadesus, qui est très connu en France, c’était une chance immense !

Quel souvenir gardez-vous de ce concert?

C’était bien, l’orchestre joue hyper bien, et puis le Concerto pour deux pianos de Poulenc, c’est une œuvre magnifique. C’était très inspirant de jouer dans de belles salles, et le public était très réactif et chaleureux. J’en garde un très bon souvenir !

Croyez-vous réellement que l’art peut changer les choses, même dans un contexte de tension et de conflit permanent entre les religions ?

La musique, c’est quelque chose qui va au-delà des mots, et donc, c’est vrai, pour les 4 mains en piano, on est obligé de s’écouter énormément, et c’est vrai qu’il y a de la magie qui opère, au-delà de la parole, à travers la musique en tout cas.

Ce qui vous attire dans un jeu à quatre mains ?

Ce n’est pas quelque chose qui est très public, c’est un peu une formation intime, il y a un répertoire qui est magnifique, et en plus, on peut transcrire beaucoup d’œuvres par exemple pour orchestre à 4 mains, le répertoire est infini !

Qu’est ce qui fait qu’un duo fonctionne ? il faut qu’il ait une affinité musicale ?

Les quatre mains, c’est une des formations musicales les plus difficiles, parce qu’on partage littéralement l’instrument, une seule pianiste pour les deux qui met la pédale et donc, c’est vraiment la cohabitation, puis, on est assis juste à côté, donc, on est obligé de bien s’entendre parce que autrement, ça ne marche pas.

Le jeu à quatre mains et une formation intime et son répertoire est infini !

Comment on prépare un concert à quatre mains ?

Déjà, chacun doit apprendre sa partie, on essaie d’aller chacune séparément au maximum, et après, on se voit plusieurs fois pour répéter. On s’est vus à Paris, 3 ou 4 fois, puis, moi personnellement, j’aime bien regarder, pas seulement être toujours au piano, aussi lire la partition pour avoir un peu de recul, pas toujours avoir le nez dans le guidon,…et puis après, il faut voir l’acoustique de la salle, il faut s’adapter un peu au piano parce qu’on change de piano à chaque fois, c’est un peu le challenge.

Quelle est la chose la plus frustrante quand on joue à deux ?

Ce n’est pas frustrant, il faut juste partager, et parfois, il faut se mettre d’accord, qui va mettre sa main en dessus, en dessous, …les mains s’entremêlent un peu, il faut bien s’organiser, il faut travailler énormément. Le piano est un instrument à percussion, quand deux accords ne sont pas ensemble, ça s’entend énormément et ça fait deux chocs très distincts. Donc, il faut s’écouter énormément et répéter beaucoup pour avoir un résultat d’un certain niveau.

Vous habitez entre Paris et Vienne ?

Oui, cela fait 2 ans que j’étudie à l’Université de musique de Vienne pour perfectionner mon niveau, donc, je passe la moitié du temps entre là-bas et Paris. Ma professeur Lilya Zilberstein est une pianiste russe très connue, j’ai eu la chance de la rencontrer et maintenant, je suis son élève. En plus, à Vienne, il y a une tradition de la musique classique vraiment incroyable, vous avez le Mozart et l’opéra tous les soirs, c’est d’un niveau incroyable, même plus que Paris. En tout cas, ils ont conservé la tradition depuis des centaines d’années et c’est assez chargé en histoire !

Vous avez fait beaucoup de compositions ?

J’ai étudié la composition au Conservatoire mais là, je me concentre plus sur l’interprétation des pièces. Quand j’étais adolescente, je voulais être compositrice de musiques de films, il y a des choses qui viennent avec le temps puis il y a des envies qui disparaissent. Là, je suis plus dans le piano.

Votre répertoire est assez vaste.

Oui, je joue du baroque, du classique et du romantique. J’aime bien la musique allemande, française et certains compositeurs russes…j’aime faire un peu de tout, je n’ai pas envie de me consacrer seulement un répertoire, j’aime beaucoup des choses différentes et je ne peux pas hiérarchiser. Le piano permet justement d’aborder des choses très différentes et c’est cela qui m’intéresse.

Un pianiste qui vous inspire ?

Un des pianistes vivants qui m’impressionne, c’est le russe Grigory Sokolov, c’est un peu une légende vivante, je l’ai vu jouer un récital Chopin, c’était vraiment impressionnant !

Le piano pour vous, c’est comme une extension de vous-même ?

Oui, on peut dire ça, c’est en tout cas le moyen de s’exprimer, de communiquer avec les gens et de transmettre des émotions. Et donc, c’est un vrai challenge de changer de piano à chaque représentation, parce que tous les pianos sont très différents !