Une voie unique pour sortir de la crise qatarie

Cet article a été publié hier, jeudi 29 juin 2017, par Ahmed Charaï dans la revue américaine The National Interest sous le titre : . En voici la traduction.

Le Qatar est connu, depuis des années, comme étant une petite péninsule sur le Golfe qui joue dans la cour des grands. Ses immenses richesses pétrolières et son énorme influence, grâce à ses chaines de télévision satellitaires d'Al Jazeera qui émettent en anglais et en arabe, lui ont donné un poids diplomatique important à travers le monde arabe. Sa puissance douce (soft power) s’est illustrée notamment par les négociations au Darfour, à Tripoli, à Sana'a et ailleurs. Partout, ce pays a suscité l’admiration ou l’envie.

Aujourd’hui le Qatar est aux prises avec les critiques de tous bords. Le candidat du Qatar qui brigue le poste de directeur général de l'UNESCO va presque à coup sûr perdre le combat. Pourtant quelques mois plus tôt, il était le candidat favori. Des militants exercent une pression sur la FIFA pour interdire au Qatar d'accueillir la Coupe du monde. Les pressions se font de plus en plus fortes pour la fermeture de la base aérienne américaine au Qatar. D’ailleurs, le général des forces aériennes américaines, à la retraite, Charles Wald, qui a ouvert la base en 2001, demande publiquement sa fermeture. Une coalition formée de 34 000 églises principalement afro-américaines devrait protester contre le Qatar à Washington, DC, le 28 juin, dénonçant la persécution religieuse au Qatar dont font l’objet les chrétiens, les juifs et d’autres minorités religieuses. (Le Qatar interdit l’utilisation des symboles externes dans les églises tels que les croix, ainsi que les prières publiques des chrétiens, même si ces derniers sont plus nombreux que les 300 000 Qataris de souche). La manifestation prévue devant l'ambassade du Qatar le 25 et à M Streets, est la toute première protestation publique contre le Qatar à Washington. Et elle ne sera pas la dernière.

Ce qui a rendu la situation encore plus dramatique c’est le fait que ses voisins et ses alliés se sont retournés contre lui. L'Arabie saoudite, l'Égypte, le Bahreïn et les Émirats arabes unis ont rompu les liens diplomatiques ainsi que les liaisons terrestres, aériennes et maritimes avec le Qatar. En outre, une guerre médiatique est actuellement dirigée contre l'Emirat par différents supports médiatiques. Aujourd’hui le Qatar suscite la crainte ou la pitié.

Qu'est-il arrivé? Le Qatar s’est révélé être le sponsor des ennemis de l'Amérique et de ses alliés arabes. Les responsables politiques à Washington sont préoccupés - selon le département d’Etat US -par le fait que le Qatar soit impliqué dans le financement des affiliés d'Al-Qaïda en Syrie ainsi que des éléments de l’EI. Les mêmes groupes que l’Amérique est en train de bombarder dans le cadre de sa campagne visant à libérer le nord de l'Irak. Le Qatar soutient également le Hamas, que les États-Unis et l'UE ont désigné comme une organisation terroriste. Quant au Bahreïn, il estime que le Qatar soutient les groupes d'opposition armés contre la famille royale. Les Saoudiens dénoncent le soutien financier du Qatar aux rebelles Houthi (opposés au régime Saoudien) ainsi que son appui aux groupes violents de l’opposition dans la province saoudienne d'Al Qatif. Une région principalement chiite.

Pendant ce temps, le Qatar a fourni un sanctuaire aux Frères musulmans et à des terroristes connus. Le cheikhat pétrolier abrite également le guide spirituel de la confrérie des Frères musulmans, Yousef Qaradawi, Khaled Meshal, qui était, jusqu'à récemment, le leader du Hamas, Abbassi Madani, originaire d'Algérie, ainsi que de nombreux dirigeants talibans. Le Qatar n'a pas seulement fourni un toit et un lit à ces extrémistes. Il leur a en plus offert une plate-forme médiatique, à travers Al Jazeera, pour recueillir des fonds, séduire des adeptes et booster leur prestige.

Toute cette duplicité et ce soutien auraient pu être tolérables, comme cela se passait trop souvent avant les attentats du 11 septembre, n’eut été la confrontation du monde arabe avec l'Iran. En effet, la République islamique est déjà engagée dans une guerre directe et par procuration contre les États sunnites. Les médias publics iraniens se réfèrent au Bahreïn comme étant «la 18e province» de l'Iran, même si les Perses ne l'ont pas gouverné depuis trois siècles, et incitent les croyants à mettre fin au contrôle saoudien sur les lieux saints musulmans à La Mecque et à Médine. Quant aux Emirats Arabes Unis, ils sont impliqués dans un conflit territorial acharné avec l'Iran. Et ne l'oublions pas, l'Iran est en passe de développer des armes atomiques et des missiles. Serait-il en train de planifier le règlement de ses disputes religieuses et régionales avec une explosion du style Hiroshima.

Contrairement à ses voisins - en conflit avec l'Iran - le Qatar fait affaire avec la République islamique. Il partage avec l'Iran le champ gazier ParsSud, l'un des plus grands au monde.

Alors que l'Iran était sous embargo, le Qatar a poursuivi la vente du gaz naturel iranien à l'Europe. Le champ gazier partagé a donné au Qatar la couverture parfaite pour aider son complice, l'Iran. Cependant, le transport maritime est lent, coûteux et risqué. Le Qatar a donc proposé un pipeline à travers la Syrie pour acheminer les produits énergétiques iraniens (ainsi que les siens) vers un marché européen à court d’énergie. Un tel pipeline aurait réduit les coûts tout en renforçant la position du Qatar. Mais le dictateur syrien a très vite mis fin à ce rêve.

En bref, le soutien du Qatar à l'Iran était la goute qui a fait déborder le vase pour ses voisins. Le département d’Etat américain cherche à être neutre et demande des preuves des transgressions du Qatar. Entretemps, le président Donald Trump a été beaucoup plus clair. Il a exigé du Qatar d’arrêter de financer les ennemis des États Unis.

De toute évidence, le Qatar doit fermer le robinet aux groupes qualifiés de terroristes. Et devrait renvoyer les chefs de la terreur qu'il héberge pour qu’ils affrontent la justice dans leurs pays d’origine.

Le département d’État américain devrait également inviter le Maroc à apporter sa contribution aux efforts visant à la résolution de cette crise. L'Iran, et indirectement le Qatar, soutiennent des soulèvements armés par des groupes minoritaires chiites dans la région majoritairement sunnite du Proche-Orient et de l'Afrique du Nord. Le roi du Maroc, Mohammed VI, est aussi le chef religieux suprême de son royaume. Ses paroles et ses enseignements religieux modérés ont calmé les populations chiites agitées tout en les incitant à s'opposer à la violence. Sous le leadership du roi, le Maroc jouit d'un nouveau rayonnement en Afrique. Mohammed VI, en tant que porte-parole de la modération politique et religieuse, est une voix importante pour la lutte contre l"insurrection chiite et pour le renouveau sunnite.

Le Qatar doit cesser d’attiser les flammes de la division islamique. Le Maroc et les Arabes du Golfe devraient avoir une chance réelle d’éviter une guerre civile religieuse entre les sunnites et les Chiites. Une guerre qui pourrait coûter des millions de vies et qui risque de s’éterniser des décennies.

Nous sommes arrivés à un moment où la confrontation avec le Qatar conduirait à la paix, et où le compromis conduirait à la guerre. Les instincts de D. Trump ne l’ont pas trompé. Si le Qatar ne change pas, c’est le monde autour qui changera.