Meryem Touzani « Il est indispensable de donner des voix à ceux qui n’en ont pas ! »
Meryem Touzani

La journaliste, réalisatrice et co-scénariste du nouveau film de Nabil Ayouch nous parle de son premier rôle dans « Razzia », une expérience intense qui l’a marqué à jamais qu’elle qualifie d’une « vraie découverte de soi ». Rencontre avec une comédienne en devenir, à la fois, sensible, libre et romantique qui défend corps et âme les libertés individuelles dans une société qui ne cesse de se renfermer sur elle-même.

Comment est née l’idée du film et était-il facile d’écrire le scénario avec votre époux ?

C’était plus un désir et un besoin profond pour Nabil de raconter les choses qu’une idée ! C’est quelque chose qui l’habite depuis plusieurs années et qui s’est accentuée après « Much Loved ». Ce désir de raconter la lutte de certains personnages dans cette société qu’on adore.  Et comme il y a une espèce de synergie entre nous, c’était facile d’écrire ensemble. On est très complémentaires, chacun apporte son regard, sa sensibilité, et puis, on a su garder le scénario assez vivant pour qu’il soit riche de nos émotions sans qu’il ne prenne trop de place dans notre vie de couple.

Vous incarnez le rôle de Salima, une femme émancipée qui souffre du carcan patriarcal. Pourquoi avoir accepté de le jouer ?

Salima est un personnage qui me ressemble beaucoup dans ce que je vis en tant que femme marocaine et en tant que femme tout court. Et je pense que Nabil a vu ces similitudes et au fur et à mesure qu’on écrivait, il sentait qu’elle me ressemblait de plus en plus. Ce rôle m’a touché parce qu’il représente des choses que je ressens, que j’ai ressenti, la seule différence, c’est que moi, je suis plus proche de la Salima à la fin du film, donc de celle qui s’est libérée de ses chaines, qui n’a pas peur, qui n’a pas envie de se fondre dans la masse parce que c’est plus simple. C’est une femme qui n’a pas peur de se battre pour défendre des principes, pour pouvoir s’épanouir et être elle-même. C’est un rôle qui me correspond parce que j’ai toujours été dans cet état d’esprit et je trouve que c’est indispensable de l’être parce que on est à une période où il faut être intransigeant, pouvoir prendre partie, il ne faut pas avoir peur de le montrer.

Vous êtes journaliste de formation, vous êtes aussi réalisatrice et scénariste. Que signifie pour vous le fait d’être actrice ?

C’est une juste une autre forme d’expression. Après l’écriture, j’avais besoin de m’exprimer par l’image via un documentaire puis je me suis essayée à la réalisation d’une fiction. Devenir comédienne, c’est la prolongation de toutes ces choses là, en plus, j’ai toujours aimé le travail des comédiens et leur capacité à transmettre les émotions aux autres par le jeu. Du coup, j’ai eu le besoin de m’exprimer à travers des gestes,… c’est pour cela que c’était naturel ! C’est très étrange et beau de pouvoir explorer cela en moi, d’aller chercher des choses que j’avais ressenti émotionnellement dans le passé, de pouvoir creuser à l’intérieur de moi-même, de laisser surgir certaines choses et les transmettre. C’est un travail de découverte de soi, autrement !

Vous pensez que les libertés individuelles sont de plus en plus menacées de nos jours au Maroc ?

Oui, je sens qu’on recule, qu’on a perdu des libertés qu’on avait acquises avant, et que ça se fait de manière insidieuse, et qu’on se laisse faire sans se rendre compte. Les femmes doivent se réveiller et se réapproprier cet espace qui en train de leur être volé, pas toujours de manière claire, mais par des petits gestes, des interdits…et je pense qu’il y a beaucoup d’espaces de libertés d’expression qui se réduisent autour de nous, surtout les femmes. Il faut prendre conscience de cela pour pouvoir réagir. Il y a des plages où je ne peux plus me mettre en 2 pièces comme je me mettais avant, c’est triste qu’en 5 ou 6 ans, on ait reculé au lieu d’avancer !

C’était difficile pour vous d’être filmée par votre mari, vu certaines scènes un peu osées ?

C’était délicat parce que je suis amoureuse de mon mari, et le fait qu’il soit derrière la caméra, en train de me voir avec un autre homme, c’était un peu dur. Je me demandais s’il allait me voir de la même manière, si quelque chose allait changer à l’intérieur de lui, mais  comme Nabil est un grand professionnel, il m’a fait comprendre que c’était du jeu. Il y a eu une petite angoisse au début qui s’est dissipée par la suite.

Vous n’avez pas peur qu’on vous attaque pour ce rôle ?

Absolument pas, j’assume complètement, et Nabil aussi, parce qu’il n’y a rien de gratuit dans ce film. Le public a une vraie sensibilité et il est assez intelligent pour comprendre cela !

Vous pensez que l’art peut changer les choses là où le politique échoue ?

Je crois en la force de l’art car sinon, je ne ferais pas de films ! Il y a des choses que les politiques peuvent changer mais l’art relève de l’émotion. Il peut réveiller des sensations en nous et nous faire ressentir des choses qu’un discours politique ne va pas forcément faire. L’art questionne, révèle, nous met face à nous-mêmes et permet de faire avancer les choses autrement.

Quelle est la chose la plus dure que vous ayez vécue pendant le tournage ?

Je suis tombée enceinte pendant le tournage, il y a eu des moments difficiles avec ce que le personnage vit, et ce mélange entre la fiction et la réalité est parfois dur, tellement réel et intense.

Qu’aimez-vous faire dans la vie ?

Je suis très casanière, j’adore lire, écrire de la poésie, peindre. J’aime me nourrir des rencontres avec les gens, j’adore me balader dans les rues de Casa, rencontrer des gens, sortir de ma zone de confort. J’aime me nourrir de toutes ces choses autour de moi qui ont un vrai sens !

Des auteurs que vous aimez ?

J’adore Zola, j’aime bien son regard, le détail, la manière qu’il a de décortiquer la société, les gens, de manière presque chirurgicale, j’adore la poésie de Baudelaire, je trouve ça très crue parfois, très dure, très violent, beau et très réel, il n’essaie pas d’embellir les choses, ça dégage cette vérité, cette réalité que j’adore. J’adore Walt Witman, …Pour ce qui est des peintres, j’aime Van Ghogh, la manière dont il fait vivre les couleurs et la façon dont il a redéfini notre manière de voir, de voir en mouvement ; j’adore Modigliani, et sa manière de sublimer ses personnages avec ses cous allongés, ses visages déformés, ses yeux, il arrive à trouver son expression dans tout ce qu’il peint ; en plus, sa vie est passionnante, la misère dans laquelle il a vécu, le suicide de sa femme juste après sa mort alors qu’elle était enceinte, parce qu’elle ne supportait la vie sans lui. Je suis peut être romantique dans ce sens, je ne supporterais pas non plus de vivre sans mon mari !

Une actrice que vous admirez ?

J’adore l’actrice iranienne Golshifteh Farahani, je la trouve exceptionnelle dans « Syngué sabour. Pierre de patience », elle est d’une force intérieure, d’une richesse, une palette d’émotions tellement différentes et toujours dans la retenue.

Votre prochain film « Adam » relate les problèmes des mères célibataires. Un autre qui vous touche ?

C’est un sujet qui me tient à cœur depuis des années. J’ai été marquée par une rencontre que j’avais faite avec une jeune mère célibataire qui était enceinte à l’époque et qui allait donner son bébé en adoption. Et au Maroc, quand on est un enfant né hors mariage, on est condamné. Cette histoire m’avait bouleversé, c’est resté en moi pendant des années et quand je suis tombée enceinte pendant le film, j’ai eu un besoin viscéral de raconter cette histoire à travers mon regard. Il y a des choses qu’on peut faire bouger au moins dans les mentalités, parce que c’est notre regard sur ces gens-là qui devrait changer et si notre regard change, tout le reste suivra. Il est indispensable de donner des voix à ceux qui n’en ont pas, de les faire exister, de pouvoir questionner nos choix dans cette société et de contribuer à faire changer les choses !