Un exilé par la porte entrouverte
Vincent HERVOUET

A l‘écran, la conférence de presse fiévreuse que tient Hassan Rohani, le nouveau Président iranien. Cela change de l’atmosphère de caserne qu’imposait Mahmoud Ahmadinejad. Côte à côte, des journalistes venus de l’étranger et pas encore expulsés, des Iraniens plein d’espoirs, des professionnels revenus de tout, des agents de la police secrète avec cartes de presse, des militants du camp conservateur et d’autres qui représentent les réformistes… Tous attendent Hassan Rohani au tournant. Il leur oppose un sourire ravi. Il jubile. Son turban dodeline, l’œil pétille. Il a coiffé au poteau des candidats plus titrés, mieux préparés, davantage soutenus. La vie est trop drôle ! Et lui, pur apparatchik de la mollarchie est même devenu dans les trois derniers jours de campagne le champion des réformistes qui avaient été empêchés de se présenter ! Quand un conservateur lui demande s’il va s’occuper des ennemis du système, il répond suavement que la clef était le symbole de sa campagne et non la hache et il rit avec malice. Sur les questions stratégiques, comme le nucléaire ou la Syrie, il ne lâche rien. Sur la relation avec les Etats-Unis en revanche, il entrouvre une porte restée soigneusement close depuis 1979 : « c’est une vieille blessure qu’il va falloir guérir ». Une génération a passé depuis la rupture des relations diplomatiques. Ardavan Amir-Aslani fait partie de cette élite iranienne qui a grandi en exil et qui s’active pour accompagner une normalisation sans cesse reportée. A la tête d’un cabinet international, l’avocat mirobolant se fait le théoricien d’un nouveau « great bargain » entre Téhéran et Washington. Il croit inéluctable le deal qui permettra aux Iraniens de sortir de leur quarantaine et leur verra reconnaitre une prééminence régionale. Inéluctable et urgent. L’embargo n’a pas découragé les Iraniens dans leur course au nucléaire et ils sont en passe d’avoir les capacités technologiques et industrielles de construire la bombe. En Irak, en Syrie, au Liban, leur influence est décisive. A Gaza et au Caire, elle n’est pas négligeable. Le retournement d’alliances prendra du temps mais le statu quo est intenable. Ardavan Amir-Aslani parle d’intermédiaires qui s’activent en coulisse. A l’écouter, les négociations ont pratiquement commencé. Avec l’effacement d’Ahmadinejad, la révolution iranienne

tournerait enfin la page ?

Un exilé plein de mémoire

Antoine Sfeir anime toujours la revue des Cahiers de l’Orient qu’il fonda en pleine guerre du Liban et il s’apprête à transformer sa petite maison d’édition en Fondation avec l’espoir de contribuer au dialogue entre les cultures. L’orientaliste garde l’œil froid en contemplant la descente aux enfers de la Syrie. Dix millions de déplacés ou de réfugiés à l’étranger, c'est-à-dire la moitié des habitants, à peu près

100 000 morts, tout un peuple pris en otage. L’empoignade entre le régime et les insurgés continue. La perspective d’une victoire militaire s’éloigne. Antoine Sfeir a été jadis torturé par les sbires d’Hafez el Assad qui faisaient la pluie et le beau temps à Beyrouth et son visage témoigne de cette violence. Il refuse pourtant de s’abandonner à l’émotion et répugne à s’enrôler comme tant d’autres intellectuels dans les gros bataillons de l’indignation médiatique, la dénonciation, la posture avantageuse contre la Syrie. Il retient le scénario que les experts militaires de la région jugent le plus probable : le front se fige et l’armée garde le contrôle de la Syrie utile. L’engagement massif des Iraniens et de leurs supplétifs du Hezbollah aura été décisif, empêchant l’effondrement du régime. Qui peut croire que Téhéran abandonne cet atout géostratégique ?

La conséquence, c’est la déstabilisation en cours de toute la région. La crise s’étend déjà en Irak où le gouvernement Maliki est déterminé à aller au bout de l’épreuve de force avec les sunnites; au Liban qui peine de plus en plus à sauver les apparences ; et même en Turquie où la communauté des Alévis, une des branches du chiisme, redoute le retour des persécutions. La petite Jordanie qui était aux abois (« A l’été, nous serons insolvables » nous disait un ministre croisé à Doha) dispose désormais d’une assurance-vie. Le déploiement des missiles Patriotes américains servis par quelques compagnies de Marines a permis aux Américains de tirer leur ligne rouge : encore et toujours la défense d’Israël заказать изготовление логотипа