Le compte a rebours tunisien
Vincent HERVOUET

Caid Essebsi ne déjeune plus. A 86 ans et demi, l’appétit est à éclipses comme le sommeil, le désir et même la vanité. Le pouvoir doit être la seule drogue qui impose encore sa tyrannie. L’ancien premier ministre Tunisien n’a pas faim mais il a convié des journalistes à un repas d’anniversaire. Le parti qu’il a fondé, Nadaa Tounes a un an. Alors, il touille sa « crème de petit pois refroidi au chèvre frais, viande des grisons, tomates confites et pignons de pin » sans y goûter.

Il parle longuement et c’est tant mieux, les autres bâfrent. Le Bordeaux millésimé succède au Bourgogne blanc et lui ne boit que de l’eau. Plate, juste une gorgée. Pour expliquer les déceptions qu’a engendrées la révolution, il cite St Thomas d’Aquin : il faut un minimum de bien être pour pratiquer la vertu. La table approuve ! Il dénonce le printemps arabe, une « invention française » et les journalistes se sentent vaguement coupables. Quand il parle de ses adversaires islamistes, Beji Caïd Essebsi se fait plus direct.

L’oeil bleu étincelle. Les phrases sont courtes. Les exemples concrets. Il dénonce ceux qui importent un wahhabisme étranger aux traditions du Maghreb et lance : « ce qui me sépare de Ghannouchi, ce sont 14 siècles ! ». La politesse du vieux monsieur s’est évaporée. Il tape à l’estomac. « Islamistes et salafistes, c’est pareil ! Nous serons les premiers à nous débarrasser d’eux démocratiquement ». Il est déterminé, un caïd. Sur la bataille en cours pour l’adoption d’une constitution, sur le dérapage de l’économie tunisienne désormais en panne, il est intarissable. On comprend son impatience. Les sondages le donnent largement vainqueur à la présidentielle mais personne ne sait quand l’élection aura lieu. Ce compte à rebours suspendu est une torture. L’an prochain, Beji Caïd Essebsi aura 87 ans et demi. Et plus instant à perdre à table. spanish to english translator