Societe
« Le racisme est une sorte de terrorisme »
Comment peut-on tuer quelqu’un que l’on ne connaît même pas, de sang froid, juste parce qu’il est étranger ou parce qu’il est Marocain comme c’était le cas pour Younes Bilal en Espagne ? Analyse, avec le sociologue Mehdi Alioua, d’un cas de racisme ordinaire qui continue d’enrôler des adeptes et de faire des victimes.
Hayat Kamal Idrissi
Mehdi Alioua. Une analyse du racisme anti-moros en Espagne
Entretien
Mehdi Alioua, spécialiste en sociologie des migrations internationales
- L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Quelles sont les origines des attitudes xénophobes et racistes ?
Mehdi Alioua. Tout d’abord, il faut distinguer entre les deux concepts la xénophobie et le racisme. La xénophobie c’est la phobie et la peur des étrangers mais c’est aussi la haine de cet étranger car souvent on déteste ce dont on a peur. C’est assez répandu dans le monde. Par contre le mot racisme a des racines plus complexes, plus idéologiques et plus politiques. On confond souvent xénophobie et racisme. Alors que ce dernier c’est l’idée de désigner les populations en fonction d’une race supposée et généralement d’imaginer que cette race biologique fabriquerait des sous-Hommes, des semi-Hommes ou des gens qui seraient plus dangereux ou plus nuisibles avec des caractéristiques négatives.
- L’Espagne est pourtant un pays voisin et l’histoire commune de la migration dans les deux sens est si ancienne. Pourquoi le racisme y trouve-t-il un terrain fertile ?
Dans le cas espagnol, la xénophobie y est liée à la présence d’immigrés et des étrangers marocains qui s’y installent et qui progressivement deviennent Espagnols. Un facteur important, le fait que ces immigrés rejoignent la nation et la citoyenneté espagnole participerait à transformer et à changer le pays. Ceci créée une tension forte pour des espagnols qui ont peur et qui ne veulent pas de ces changements. Généralement les migrants participent aux changements sociaux mais il faut dire que ceci s’opère même si ces sociétés n’accueillent pas de migrants. Comme c’est le cas un peu partout dans le monde, les migrants dont les Marocains d’Espagne, deviennent, pour les xénophobes, les bouc-émissaires, les premiers responsables de ces mutations.
Et c’est à tort car la société se transforme pour plein de raisons qui n’ont rien à avoir avec la question migratoire. Sauf que l’on l’impute aux migrants surtout lorsqu’ils sont issus de catégories plus populaires et pauvres, comme c’est le cas pour la plupart des migrants marocains en Espagne. Certes, il y a des migrants qui sont assez aisés, qui ont des bonnes situations et de bons postes en Espagne, mais une grande partie est constituée de classe ouvrière et de petits métiers avec une condition modeste. Ils sont ainsi perçus comme premiers coupables des transformations sociales "négatives". Même s’ils deviennent espagnols, on leur signifie clairement qu’ils ne le sont pas complètement et qu’ils restent des étrangers, des sous-citoyens.
C’est une manière de leur signifier leur subalternité et leur infériorité. Je considère personnellement que les migrants sont les victimes expiatoires de la mondialisation. Cette dernière a changé le monde, les sociétés, l’économie... Il y a certes des gagnants mais surtout des perdants et des victimes d’animosité en mal de véritable cible.
- Quel est le déclic qui peut mener à des formes extrêmes du racisme comme c’était le cas pour Younes Bilal en Espagne ?
Souvent xénophobie et racisme se mélangent et quand cela arrive ça devient très complexe et difficile à combattre. Parce que finalement, on peut arriver à combattre la xénophobie, à l’atténuer en rassurant, en montrant des succès stories d'inclusion sociale, des figures de migrants qui réussissent à intégrer la nation et à améliorer leurs conditions. Par contre le racisme, c’est plus compliqué car c’est idéologique. Lorsque les deux se mélangent, le phénomène devient carrément impossible à éliminer tout en engendrant beaucoup de violence, comme c’était le cas en Espagne. Là bas, il y a un racisme anti-marocain qui date de plusieurs siècles. Historiquement, le phénomène existe depuis longtemps. Si vous visitez certaines cathédrales, surtout dans le sud de l’Espagne, sur leurs seuils, on trouve cette inscription sur la pierre « Moros et Judios » ( Maures et juifs ). Les enfants qui font leur communion vers l’âge de huit ans, doivent, dans le cadre de ce rituel, s’essuyer les pieds sur les mots juifs et maures. C’est dire combien ce racisme est ancré et remonte à très loin depuis la reconquista.
Pendant la colonisation, les Espagnols croyaient fermement qu’ils étaient supérieurs et que les Marocains étaient inférieurs d’où la légitimité de les coloniser. Jusqu’à aujourd’hui, il y a une vision du Maroc assez galvaudé et impressionnante. On retrouve ce regard méprisant dans certaines productions télévisées ou cinématographiques. Une sorte de délire mélangé à du déni de la réalité comme c’est le cas lorsqu’ils fêtent la bataille d’Anoual alors que c’était une grande défaite espagnole !!! Ils refusent toujours de s’excuser pour les dégâts qu’ils ont causés au Rif et dont les retombées continuent jusqu’à aujourd’hui à cause du gaz moutarde qu’ils ont déversé sur les populations locales. Les taux phénoménaux du cancer enregistrés dans le Rif actuellement le rappellent d’une manière douloureuse. Et lorsqu’on voit le parti Vox qui monte et sur quoi il surfe, l’on comprend que ces idées sont toujours là. Il y a un vieux racisme anti-moros très profond qui n’est pas partagé heureusement par tous les espagnols mais une partie toutefois l’adopte.
Quand le racisme est profondément ancré on peut arriver au crime. Dans un crime raciste il y a une déshumanisation. On nourrit l’idée que ce ne sont pas de vrais humains. C’est un acte terroriste tout comme ceux commis par Daech ou autres organisations terroristes. On parle souvent du djihadisme terroriste mais on oublie le terrorisme de l’extrême droite qui a exactement le même fondement : Les victimes ne sont pas des êtres humains et leur vie n’a aucune importance. Le fait de ne pas suffisamment parlé de racisme, que l’Espagne ne se remette pas en cause et d’avoir un parti comme Vox qui monte... entraine forcément des crimes racistes. Lorsque la parole publique n’est pas assez puissante, ça peut mener à des situations explosives comme on vient de le voir.