Maghreb. Ne faisons rien, mais restons ensemble
On savait que la visite du ministre israélien de la Défense au Maroc allait être une actualité intensément suivie par toutes les capitales du monde. L’événement est disruptif, dans la mesure où il sort complètement de l’ordinaire politique international qui a plongé toute la région MENA et la Méditerranée dans un immobilisme affligeant. Les pays arabes n’avaient qu’une seule idée en tête, maintenir l’isolation d’Israël et empêcher tout rapprochement avec lui.
Cela a duré des décennies, jusqu’au jour où on s’est aperçu qu’on avait perdu trop de temps et rien gagné sur le volet du développement, au moment où le pays « isolé » devenait chaque jour plus puissant, plus technologique, plus influent sur la scène internationale.
Dans le monde arabe, néanmoins, certains pays n’ont pas cédé au marasme ambiant et ont pu, eux aussi, avancer sur la voie du développement. Les Emirats arabes unis et le Maroc se sont bien démarqués en brisant des tabous et en dépassant le grand blocage arabe. Les accords d’Abraham sont la matérialisation de cette conception pragmatique de la politique internationale. Ils permettent de répondre à cette grande question: mais qu’avons-nous fait depuis les années 60?
La Palestine a-t-elle été libérée? Surtout, est-elle libérable? Israël a-t-il été jeté à la mer comme le répètent encore certains propagandistes islamistes et gauchistes? Rien de cela n’est arrivé. Au contraire, l’affaire palestinienne s’est transformée en lutte entre pays arabes et islamiques, avec l’apparition de nouvelles forces terroristes, sous influence régionale, qui ont fermé la voie à toute solution politique.
C’est cette ambiance que les accords d’Abraham ont désintégrée et on comprend très bien la réaction de certains pays qui veulent encore exploiter les filons politiques de la cause palestinienne et de l’ennemi extérieur.
L’Algérie a fait mieux que tout autre pays. Et là, étonnamment, même les opposants au régime militaire d’Alger, tous exilés, reproduisent le même discours des dirigeants. Pour tout ce monde, l’alliance militaire entre le Maroc et Israël est principalement dirigée contre l’Algérie, pays des 5..7...9 millions de martyrs.
Le pouvoir veut profiter de l’aubaine et montrer au peuple algérien qu’il avait toujours raison, le Maroc est un ennemi; il faut se préparer à défendre la nation. Il explique, en passant que tous les problèmes de l’Algérie viennent du Maroc et d’Israël; que s’il n’y a pas assez de gaz (dans un pays exportateur de gaz), pas assez de pommes de terres et de lait dans les marchés, c’est bien à cause du voisin « hégémonique ». Tout s’explique par le Maroc, tout est conçu en fonction de ce que fait le Maroc.
Le Maroc a un grand port? On veut un port. Le Maroc exporte des voitures? On veut exporter des voitures. Le Maroc investit en Afrique? On veut investir en Afrique. Le Maroc est reconnu comme une puissance régionale? Le général et le président crient que l’Algérie est une puissance reconnue par le monde entier. La seule chose qu’on ne comprend pas c’est pourquoi l’Algérie n’accepte pas la revendication d’autodétermination de la Kabylie. Comme ça, au moins, elle aurait elle aussi, comme le Maroc, des mercenaires et des pilleurs d’aides internationales à combattre.
Cependant, les Algériens n’arrivent pas à comprendre une chose. On ne peut pas camper éternellement sur une position bloquée. A un certain moment, il faudra sortir du cercle et explorer d’autres possibilités. Par exemple, lorsque les Algériens parlent d’honneur notamment en restant fidèles à une cause, le Maroc pense que ce n’est pas une question d’honneur mais d’efficacité. L’honneur n’a rien à voir dans les relations internationales.
Le monde a changé depuis la chute du mur de Berlin, mais en Algérie, rien n’a bougé. L’Afrique a des ambitions plus concrètes de développement, en Algérie, le développement semble être le dernier des soucis des dirigeants. Il n’y a aucun ennemi extérieur pour quelqu’un qui ne cherche noise à personne.
Quant à regretter que le Maroc ait trahi le « Grand Maghreb Arabe », comme le répètent certains commentateurs, il faudrait bien se calmer un peu. Rien ne se passe entre les pays de cette région. Le Maghreb n’est pas une réalité, ni politique, ni sociale et encore moins économique. Et c’est là que l’absurde surgit: « ne faisons rien, mais restons ensemble! ».
Or, un esprit pragmatique pourrait se poser cette question: Et si la normalisation avec Israël était un bon moyen de mettre sur pied le Grand Maghreb? Un Maghreb fort économiquement et jouissant d’une grande influence à l’échelle mondiale? On le sait très bien, poser la bonne question c’est déjà se rapprocher de la réponse. Eh bien, même cette question on refuse de se la poser.
J’ai négligé certains commentaires, entendus chez des opposants algériens, sans parler des médias du régime (mais avec ceux-là on a l’habitude) pour la simple raison qu’on ne peut pas répondre à des assertions non fondées qui reposent sur des dogmes inébranlables. Tout en maintenant, bien évidemment, le respect dû aux uns et aux autres, au nom de la liberté d’expression.