Cinema
Netflix. Le premier film arabe suscite des remous

Réalisé par le libanais Wissam Smayra, le film met en scène des acteurs connus du Liban et d'Egypte (Mona Zaki, Eyad Nassar, Nadine Labaki, George Khabbaz et Fouad Yamin), les deux mastodontes de la pop culture arabe. Et il est le remake du célèbre film italien à succès, Perfect Strangers - dont la version française « Le Jeu », a déjà fait un carton sur la plateforme en ligne.

Le film raconte l’histoire de trois couples - deux Libanais et un Egyptien - qui se retrouvent pour un dîner arrosé. Au cours de la soirée, ils acceptent de se prêter à un jeu vicieux : mettre leur portable sur la table et partager chaque message ou appel avec l'ensemble du groupe. Dans un quasi huis-clos, les épouses découvrent que leur mari ont des maîtresses, les amis découvrent que l’un d’eux est homosexuel, ils découvrent aussi des trahisons, les maris des liaisons et un père n’est pas choqué lorsque sa fille mineure lui annonce qu’elle va coucher avec son petit ami...
L’actrice Mona Zaki dans la ligne de mire

Violemment critiquée sur la toile, Mona Zaki qui joue une femme prise entre une belle-mère qui la méprise et un mari qui ne la touche plus, semble avoir déçu plusieurs de ses fans. L’actrice égyptienne que l’on voit dans une des scènes enlever son slip et le mettre dans son sac (une scène rappelant étrangement celle de la sulfureuse Sharon Stone dans Basic Instinct) assume pleinement son rôle et déclare « ne pas croire en un cinéma chaste et un cinéma sale ». Mon « rôle dans Ashab Walla Aaz n’est pas plus osé que les autres personnages que j’ai déjà incarné par le passé, confie-t-elle. Je ne me suis jamais dénudée dans mes films, dit-t-elle sur sa page Facebook, je suis de nature quelqu’un de réservé ».
Profondément choqués par le rôle « osé » de l’actrice, plusieurs internautes interpellent son mari Ahmed Helmi, l'un des acteurs égyptiens les plus célèbres qui, lui, n'est pas au casting de Netflix. « Comment a-t-il pu autoriser sa femme à jouer ce rôle ? », peut-on lire sur un post. D'autres vont plus loin encore et lui demandent de la « répudier immédiatement ». La réponse de Ahmad Hilmi n’a pas tardé à venir. L’acteur qui soutient à 100% sa femme invite ses détracteurs à « aller se faire voir ».
« C'est un film courageux et original », rétorque sur Facebook Khaled Ali, grande figure de la gauche égyptienne. « Tout ce dont il parle existe bel et bien dans nos sociétés, n'en déplaise à ceux qui préfèrent l'ignorer, se taire ou attaquer ».
Le Syndicat des acteurs égyptiens dirigé par Ashraf Zaki a déclaré dans son communiqué qu'il n'accepterait aucun abus verbal, ni aucune forme de menaces contre un artiste égyptien en raison de son travail artistique, ajoutant qu'il soutiendrait Mona Zaki contre toute procédure engagée. « Défendre la liberté de création dans un État civil est un pilier essentiel de la conscience égyptienne que le syndicat protégera toujours », indique le communiqué du syndicat, soulignant son « souci de préserver les valeurs de la société égyptienne et d'aborder les questions sensibles par l'art ».
La célèbre actrice Ilham Chahine a également soutenu Mona Zaki. « C’est le meilleur rôle de Mona, a-t-elle déclaré, je ne trouve pas que c’est vulgaire ni choquant et le film décrit des personnages qui existent dans notre société, qu’on le veuille ou pas ».
"Interdire Netflix" en Egypte

Le film a fait l'objet de vives critiques en raison des idées et des scènes qu'il contient, que certains considèrent comme inappropriées pour la société égyptienne.
Scandalisé par les propos et les scènes du film, un avocat égyptien a saisi le ministère de la Culture et le service de la censure pour faire « interdire » un film qui, dit-il, « vise à briser les valeurs familiales ».
Pour sa part, le très zélé député Moustafa Bakri a réclamé une session extraordinaire du Parlement pour discuter du sujet. Le député assure qu’après avoir scruté chaque plan, il a trouvé « plus de vingt scènes pornographiques », dit-t-il - alors qu'aucune scène érotique, pas même un baiser, n'apparaît dans le film, que Netflix interdit aux moins de 16 ans pour son langage grossier.
Bakri, qui s'érige régulièrement en gardien des moeurs, réclame l’interdiction de Netflix en Egypte sur tous les plateaux des talk-shows les plus suivis du pays de 102 millions d'habitants. Il reproche au film de banaliser et de « défendre l'homosexualité dans une société orientale », et de montrer un père discuter avec sa fille de sa première relation sexuelle après la découverte de préservatifs dans son sac par sa mère », accuse Moustafa Bakri.
« Il y a une différence entre ne pas dénoncer un phénomène et l'encourager », estime le critique de cinéma réputé Tarek al-Chennaoui dans un pays où l'homosexualité n'est pas expressément prohibée mais où la répression des personnes LGBTQ+ s'est accrue ces dernières années.

Tarek al-Chennaoui estime que le cinéma égyptien n'a jamais été frileux. Il y a près de 20 ans, le public se ruait dans les salles pour voir le film de Ines Edighiddi « Sahr el-Layalii » (Nuits blanches en arabe), qui l'histoire de quatre couples qui se déchirent après un dîner entre amis avec, au menu, impuissance masculine, adultère et écarts entre classes sociales.
Plusieurs films égyptiens, dont « L'Immeuble Yacoubian » (avec Adil Imam), adapté du roman d'Alaa Al-Aswani, ont déjà traité de l'homosexualité de manière explicite. Et comble de l'ironie, en 2016, le prix du meilleur scénario au Festival du film du Caire était décerné à « Perfect Strangers ».
(Avec AFP)