
1 C’est quoi le « takfir » ?
C’est un avis religieux de déchéance du statut de musulman, celui-ci devenant sur la base de cet « mécréant ». Cette excommunication obéit, dans la tradition sunnite, à des précautions théologiques et se prononce dans dix cas de figures, mais suffisamment vagues pour permettre leur interprétation. Selon Abdelhakim Aboullouz, spécialiste du salafisme, le « takfir » se décline en trois grandes catégories : « Le premier degré est symbolique et condamne tout emprunt par un musulman de la pensée des juifs et des chrétiens, voire de l’Occident en général. Le deuxième est pratique, il s’en prend à des comportements de la vie quotidienne : la manière de s’habiller, le fait d’écouter la musique ou d’aller voir un film… Le troisième est plus direct et s’attaque aux personnes. Abou Naïm se situe dans cette dernière catégorie. »
2 Qui sont les « takfiristes » ?
« La base du salafisme est le takfir et une forte ségrégation entre les croyants », analyse le chercheur A. Rami. Dans leur dogme, « le Salut et le triomphe » passent par l’appartenance à ce courant car les autres mouvances sont « égarées » et « déviantes ». Selon Rami, parmi les salafistes, on distingue trois grands courants :
. « Les traditionnalistes » qui visent à travers la prédication et « l’éducation » de ramener la société vers le droit chemin. Cette tendance évite l’affrontement et travaille dans les mosquées et au sein des associations religieuses n’ayant aucune étiquette politique.
. Les « takfiristes ». À l’intérieur de ce courant, on retrouve deux factions. La première se contente d’excommunier le pouvoir car il serait le premier responsable pour ne pas avoir appliqué la charia à la lettre. La deuxième faction est le salafisme jihadiste qui excommunie toute la société et même les autres salafistes.
. Le courant « sourouri », auquel peut être indentifié Abou Naïm, est un mélange hybride entre le discours des Frères musulmans, préoccupés par les questions politiques et sociétales, et la rigueur fondamentaliste du salafisme. Ses maîtres à penser au Maroc sont Zouhal, Bourhoun ou encore Boukhoubza.
3 Le « Takfir » est-il en vogue ?
« Le takfir persistetoujours dans les rangs des salafistes,mais son intensité est enbaisse par rapport aux années passées.Depuis 2003, les takfiristes semontrent réservés », observe Abdel-Bari Zamzami, président de l’associationdes études et recherches enjurisprudence contemporaine. Saufque cette tendance se retrouve là oùon ne la soupçonne pas, en témoignela banderole brandie par dessupports du Raja contre Lachgar.Abderrahim Mouhatad, ancien prisonnierpolitique islamiste, pointedu doigt « l’influence des médias satellitaires». À cela s’ajoute, à sonavis, « l’émiettement des référencesreligieuses puisque chaque salafistea sa propre démarche pour étayer saposition takfiriste ». Pour Aboullouz,« le takfir est redevenu à lamode comme le montrent les attaquesentre Frères musulams et salafistesen Egypte ». Cetuniversitaire prévient contre les manipulationspolitiques de cettearme: « C’est un outil qui peut êtreutilisé entre adversaires politiques.Pour cette raison, il faut rester vigilantet prendre bien compte du contexte de ces appels à l’excommunication.»
Enquête publiée dans le magazine L'Observateur du Maroc du 10 au 16 janvier 2014