Forum de Marrakech pour le développement de l'Afrique : La nouvelle Afrique hausse le ton
Mohammed Zainabi
Le Forum de Marrakech pour le développement de l'Afrique a été qualifié d’historique par nombre de participants. Déjà parce que c’est la première fois que cet événement bisannuel de la Commission économique pour l'Afrique (EAC) se tient en dehors de la capitale éthiopienne, Addis-Abeba, où siège cet organe onusien. Mais aussi parce que les organisateurs sont sortis des sentiers battus en invitant les participants à une véritable réingénierie des financements du développement en Afrique. Le Forum de Marrakech devait aussi son originalité au ton emprunté par les différents intervenants, qui change des discours anesthésiants usuels en pareilles circonstances. D’entrée de jeu, le contenu de la lettre adressée par le souverain aux participants, qui a été lue par le chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, faisait ressortir ce renouveau : « C’est en fédérant les énergies et en mobilisant nos atouts respectifs que nous allons gagner ensemble le grand pari du 21e siècle, celui d’une Afrique unie, stable et prospère », a affirmé le Souverain. Estimant que le continent a plutôt besoin, aujourd’hui, au regard de ses atouts et ses potentialités, de partenariats gagnant-gagnant que d’assistance conditionnée, le roi Mohammed VI a plaidé en faveur d’une intégration économique régionale plus forte, un meilleur positionnement de l’Afrique dans la chaîne internationale de la création de la valeur, de nouvelles approches partenariales et une coopération Sud-Sud novatrice, solidaire et mutuellement bénéfique. S’y ajoutent « une transformation structurelle des économies africaines et leur mutation vers des activités à haute valeur ajoutée et à fort contenu technologique, la promotion de partenariats publics et privés et l'orientation du secteur privé vers des secteurs à haute valeur ajoutée, tels que les énergies renouvelables, l'agriculture, la technologie et les infrastructures ». Sans oublier « la bonne gouvernance, la solidité des institutions, le renforcement des capacités institutionnelles, la cohésion spatiale et intergénérationnelle et la qualification de l'élément humain ». Ce sont là les conditions pour que soit enclenchée « une dynamique nouvelle pour l'émergence d'une nouvelle Afrique ». Laquelle a été décrite par le souverain comme étant « fière de son identité, moderne et débarrassée des idéologies et des archaïsmes, audacieuse et entreprenante ». « Comme Nous avions eu l'occasion de l'exprimer devant la 69e session de l'Assemblée générale des Nations unies, le problème de développement en Afrique n'est pas lié à la nature de la terre ni au climat, mais il est plutôt imputable à une dépendance économique enracinée, et à la faiblesse des soutiens et des sources de financement, ainsi qu'à l'absence d'un modèle de développement durable », a rappelé le souverain. D’où son nouvel appel à la communauté internationale pour une approche objective de la problématique du développement en Afrique. Ayant misé sur le continent, le Maroc multiplie les initiatives pour traduire dans les faits ses ambitions continentales. Le roi Mohammed VI a donné comme exemple le lancement par le Royaume du Maroc de la place financière Casablanca Finance City. Pour le Souverain, la mobilisation des ressources financières domestiques constitue le vecteur essentiel pour pérenniser le financement des grands projets d'investissement, particulièrement les infrastructures, et mieux se préparer à la réalisation des objectifs de développement post-2015. Mais ce n’est pas suffisant. « Il est tout aussi important que la communauté internationale est appelée à faire montre de davantage d'imagination et de créativité pour mobiliser des instruments de financement novateurs susceptibles d'accompagner au mieux la transformation économique du continent et son développement durable ».
IIbn Battuta, l’invité surprise
« Nous assistons à un changement radical des attitudes et des mentalités: les dirigeants deviennent des réformateurs, les acteurs des rêveurs », a lancé le Secrétaire général adjoint de l’ONU et Secrétaire exécutif de la CEA, co-organisatrice de l’évènement avec la Banque africaine de développement et l'Union africaine. Pour faire réfléchir l’assistance, Carlos Lopes a évoqué la personnalité mythique de l’histoire marocaine et africaine, Ibn Battuta. Ce dernier a su si bien décrire la Somalie où il est arrivé en 1331. Reprenant les mots de ce grand voyageur, Lopes a rappelé que le Sultan, Abou Bakr Omar, avait mis en place une solide administration comprenant des vizirs, des juristes, des commandants et des percepteurs. C’est clair que Mogadiscio est aujourd’hui loin de sa prospérité d’antan. Une manière pour le grand expert de montrer que les leçons à retenir de la Somalie, outre la nécessité d’aller vers un environnement pacifique et attrayant, ont davantage trait à l’économie. L’orateur a ensuite décrit, sans fard, l’Afrique, avant de poursuivre : « Même si l’image de l’Afrique s’est améliorée, le continent est toujours perçu par beaucoup comme instable, peu sûr et vulnérable face à la maladie, comme l’a montré encore une fois l’hystérie autour d’Ébola ». D’où la nécessité d’« un changement de paradigme dans l’esprit des gestionnaires de fonds, en particulier s’agissant de la façon dont est perçue l’Afrique sur les marchés des capitaux ». Pour Carlos Lopes, « Les enfants africains doivent s’émerveiller non seulement des nombreux voyages effectués par Ibn Battuta, mais aussi du long chemin parcouru par leur propre pays, et ils sauront alors que leur continent, l’Afrique, est le nouvel eldorado. Ce rêve est à notre portée, ce rêve peut devenir réalité ». Le Président sénégalais Macky Sall, son homologue ivoirien, Alassan Ouattara et le Premier ministre capverdien ont abondé dans le même sens. Tous ont insisté sur le grand potentiel de l’Afrique. Pour eux, l’Afrique nouvelle est en marche. Cette phrase du président Macky Sall résume bien cet afro-optimiste : « Notre ambition et l’aspiration de nos peuples n’est pas seulement de lutter contre la pauvreté. Notre ambition, l’aspiration de nos peuples, c’est aussi et surtout d’installer, par nos propres efforts, une croissance durable, génératrice d’emplois, de prospérité et de développement inclusif » a-t-il souligné. Argument majeur avancé : ce qui est possible sur tous les continents l’est aussi en Afrique. Le président sénégalais a tout dit en lançant : « C’est à l’épreuve des faits que nous vaincrons les derniers stigmates de l’afro-pessimisme » ❚