Le Canada a longtemps semblé retranché derrière sa frontière, loin de la violence coutumière à son grand voisin étatsunien, comme si les neiges abondantes étouffaient le tragique de l’histoire. L’Europe, le Moyen Orient, le Maghreb, toute une partie de l’Asie ont été saigné par le terrorisme de masse. A défaut de s’y habituer, ils ont appris à y faire face. Le Canada, pourtant si proche est resté épargné. Les derniers attentats y remontent aux années 70 et à un éphémère mouvement de libération du Québec… C’est pourquoi la dérive sanglante d’un apprenti djihadiste en début de semaine et l’attaque confuse menée au Parlement et au Monument aux morts d’Ottawa le surlendemain constituent un tournant. Le traumatisme nait de la répétition. Rien ne permet de jurer que les deux évènements sont directement liés. Rien n’interdit non plus de le penser alors que la cible des tueurs étaient à chaque fois des militaires désarmés mais en uniforme et que le gouvernement venait de mettre en garde contre des menaces terroristes. Les autorités évitent de dégainer le mot de conspiration, pourtant si facile en anglais. Elles manient avec la prudence d’un démineur l’idée de terrorisme, en l’évoquant comme une hypothèse parmi d’autres… C’est une forme de déni devant la réalité. Le Canada vient de vivre son 11 septembre. Comme l’ont vécu avant lui la Grande- Bretagne, l’Espagne, le Maroc, toutes frappées par des tueurs qui se revendiquaient du réseau al Qaïda. Est-ce que les tueurs de Montréal et d’Ottawa obéissaient à la consigné donnée par le porte-parole de Daech appelant fin septembre à tuer l’infidèle « surtout un méchant et dégoutant français, un Australien ou un Canadien ». Il donnait même le mode d’emploi : « frapper la tête avec une pierre, égorger avec un couteau, écraser avec une voiture ». L’appel a été reçu en Algérie puisque le lendemain, le guide de montagne Hervé Gourdel était enlevé et décapité. Nul doute que ces consignes haineuses ont aussi impressionné ce Québéquois solitaire qui s’était converti et radicalisé. La gendarmerie royale l’avait repéré et le tenaient à l’oeil comme une petite centaine de djihadistes revenus de Syrie et d’Irak. Elle l’avait stoppé l’été dernier à la frontière avant qu’il ne gagne la Turquie, première étape sur la route du massacre. L’appel du néant a fini par le conduire sur le parking d’un supermarché près d’une l’école militaire où il a attendu qu’un sous-officier passe pour l’écraser avec sa voiture. Aussitôt pris en chasse, il a défié la police avec son couteau et il a eu la mort qu’il recherchait. L’assaut du surlendemain au centre d’Ottawa frappe aussi par sa portée symbolique. C’est un réserviste, un planton près du Monument aux morts, un soldat sans moyens de se défendre qui a été assassiné froidement. Ensuite la fusillade et la confusion au parlement, le coeur de la démocratie canadienne. Difficile de ne pas relever qu’au moment de ces deux attaques aveugles, six F16 de l’armée de l’air canadienne, avec leurs ravitailleurs en vol et un avion de reconnaissance décollaient de leur base en Alberta et gagnaient par étapes le Koweït pour prendre une part modeste à la bataille contre Daech en Irak. Le Canada est entré dans la bataille. Plus tôt qu’il ne le pensait. Et pas comme il l’imaginait. C’est un militaire plus habitué à la vie de caserne qu’au parcours du combattant et un réserviste davantage gardien de musée que foudre de guerre qui ont été les premières victimes de cette guerre, dont le front est à l’arrière ❚