Mohamed Salah Tamek au Pr. John Waterbury : "Vous êtes tombé si bas pour que vous passiez inaperçu"
Mohamed Salah Tamek recadre John Waterbury

C’est en citoyen marocain et en sa double qualité d’ancien professeur d’université et de Délégué général à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion que Mohamed Salah Tamek a répondu au professeur John Waterbury. Voici l’intégralité de sa lettre.

« Je voudrais réagir à un article publié dans la rubrique "Courriers des lecteurs” du Washington Post, et ce en tant que citoyen marocain, ancien professeur universitaire et en ma qualité de Délégué général à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion au Maroc.

J'ai appris à vous connaître à travers votre célèbre livre "Le Commandeur des Croyants” que j'ai reçu en cadeau -alors que j'étais encore lycéen à Marrakech- de la part de Sally Cameroun, volontaire du Peace Corps et professeur d'anglais.

A cette époque, j'étais un brillant élève d’anglais souvent en contact avec quatre autres professeurs, à savoir Gael Rhabin, un Franco-Britannique, Geoffrey O'Cain, un Irlandais, Mme Stephany Sweet, une enseignante britannique devenue consul général à Tanger et Sally Cameroun de Pennsylvanie. J'ai déployé un grand effort pour comprendre votre livre comme je le faisais avec "Ainsi Parlait Zarathoustra” de Nietzsche.

A l’époque, j'ai trouvé votre livre très éclairant et m'a aidé à comprendre des aspects de ma propre société sous un angle différent. En même temps, à l'adolescence, j'ai été soumis à d'autres influences idéologiques à travers nos professeurs de philosophie, de littérature et d'histoire. L'effet était si évident que lorsque j'ai réussi mon diplôme de lycée (Baccalauréat), j'ai obtenu une bourse pour aller étudier aux États-Unis, une offre que j'ai déclinée parce que je ne voulais pas être sous l'influence d'un État capitaliste impérialiste!

Le résultat était garanti car moins de trois ans plus tard, je me suis retrouvé en prison pour appartenance à un mouvement estudiantin marxiste-léniniste.

J'ai toujours tenu en estime votre travail, que j'ai relu à maintes reprises au même titre que celui de Jacques Berque, Paul Pascon, David Hart, I. William Zartman et Rémi Leveau, entre autres intellectuels considérés comme les pères fondateurs des études marocaines. Vous surestimez certainement la valeur professionnelle des deux soi-disant journalistes. Vous identifiez l'un d'entre eux comme un journaliste d'investigation qui aurait travaillé sur des affaires de corruption. Paradoxalement pourtant, le public marocain, qui est toujours attentif aux affaires de corruption soumises à la justice, n'est pas au courant de tels cas rapportés par cette personne.

Concernant l’autre individu, connu pour quelques éditoriaux dans un journal marocain, et qui n'a ni formation ni diplôme, il a publié des articles sponsorisés par des militants partisans qui épousent une certaine doctrine.

Dans votre article, vous avancez que les deux détenus "n'ont pas violé la loi marocaine", liant leurs poursuites à des enquêtes journalistiques présumées sur des affaires majeures de corruption. Je suis étonné qu'un professeur de votre trempe parvienne à une telle conclusion.

Vous êtes en train de légitimer des allégations que vous chuchotent des personnes qui cherchent à brosser un tableau lugubre de la situation des droits de l'homme dans le Royaume, sans tenir compte du fait que ces individus sont poursuivis pour viols. Pire encore, en agissant de la sorte, vous foulez aux pieds non seulement les droits des autres parties aux procès, mais vous faites montre également d’un mépris injustifié à l’égard de la justice marocaine.

Pour ce que vous appelez la «grève de la faim», je pense à des cas tels que ceux de militants de l'IRA décédés après avoir observé une grève de la faim, comme feu Bobby Sands, ou du mouvement de gauche marocain dans les années 70, comme feu Saida Mnebhi, ainsi que d'autres militants palestiniens. En conclusion, je voudrais attirer votre attention sur le fait que le pays que vous avez qualifié d'allié des États-Unis et de «pays remarquable» et qui pourrait servir de «phare pour sa région» est un État indépendant doté d’une séparation stricte des pouvoirs et que son système judiciaire est suffisamment mûr pour se prononcer librement sur les affaires qui lui sont soumises, sans recevoir des leçons d'autres pays qui réclament haut et fort l'indépendance de la justice.

Cela dit, je défends le droit à un procès équitable des deux détenus en question et de quiconque, qu’il soit au Maroc ou ailleurs.