Crise Maroc/Espagne. Quels enjeux économiques ? 
Si la crise diplomatique actuelle entre Rabat et Madrid perdure, les impacts seraient considérables sur le plan économique

La coopération économique entre le Maroc et l’Espagne n’a cessé de se développer et les perspectives sont prometteuses. Si la crise diplomatique actuelle entre Rabat et Madrid perdure, les impacts seraient considérables sur les intérêts économiques des deux pays sur divers plans.



« La dynamique de la coopération entre l’Espagne et le Maroc a permis aux deux pays de devenir des partenaires économiques, commerciaux et financiers importants », déclare l’économiste et doyen de l’université Hassan II de Casablanca, Abdellatif Komat. Toutefois, « la crise diplomatique actuelle entre les deux pays pourrait nuire aux intérêts économiques des deux pays sur plusieurs volets », prévient-il.

Une "chère" éventuelle rupture

Le partenariat bilatéral se traduit par une hausse notable des transactions commerciales entre les deux pays et l’implantation des entreprises espagnoles au Maroc dans des secteurs aussi divers que l'immobilier, le tourisme, l'énergie, les télécommunications, les services financiers, les transports ou le textile-habillement. « Depuis 2014, l’Espagne est devenue le premier partenaire commercial du Maroc tant au niveau des exportations que des importations avec des flux commerciaux dépassant les 144 milliards de dirhams. Les importations en provenance du pays ibérique sont estimées à près de 76,4 MMDH soit 15,6% du total des importations du Maroc alors que les exportations dépassent les 67,9 MMDH et représentent presque 24% des exportations marocaines», analyse l’analyste économique et professeur d’économie à l’université Ibn Tofail Kenitra, Mariam Cherqaoui. «Les échanges commerciaux entre les deux pays ont doublé au cours des dix dernières années, avec des taux de croissance supérieurs à 10% par an depuis 2011. Le taux de couverture des importations par les exportations est passé de plus de 170% en faveur de l’Espagne en 2012 à 125% actuellement. La balance commerciale est certes déficitaire pour le Maroc, mais le gap se réduit de plus en plus au fil des années ce qui confirme le progrès réalisé en faveur du développement des échanges commerciaux bilatéraux », soutient Abdellatif Komat. Sur les perspectives, il note que l’Espagne tablait sur le doublement des flux commerciaux à l’horizon 2025. «Il serait dommage de freiner cet élan vu les liens qui unissent les deux pays et les perspectives prometteuses offertes pour développer davantage cette coopération fructueuse. Une éventuelle rupture des relations pourrait être très coûteuse », déplore Komat.

Au-delà des échanges



Selon les économistes, si la crise perdure, cela pourrait porter atteinte également aux intérêts économiques de l’Espagne à l’échelle continentale. «Le Maroc figure parmi les dix principaux partenaires commerciaux de l’Espagne, étant la huitième destination des exportations espagnoles au niveau mondial, la deuxième dans le monde en dehors de l'Union Européenne. Le Maroc est également le premier partenaire commercial de l’Espagne en Afrique en concentrant 46 % de toutes les exportations ibériques vers le continent », fait savoir Mariam Cherqaoui. De son côté, Abdellatif Komat souligne que «sur un plan stratégique, le Maroc est la porte de l’Espagne et de l’Europe vers l’Afrique. Le Royaume est considéré dans une récente étude de la BAD comme le 4ème pays intégré sur le continent et l’élan en termes d’investissements dans les infrastructures aéroportuaires, routières... prédisposent le pays à jouer un rôle fondamental en matière d’accès des produits espagnoles et européens à l’Afrique ». Autre enjeu de taille, «le Maroc est considéré comme le pays africain où l'entreprise espagnole investit le plus, avec plus du tiers des investissements directs étrangers (IDE) engagés par le pays ibérique en Afrique », déclare Komat. Ces investissements sont principalement concentrés dans les secteurs industriel, tertiaire et financier voire même dans des services publics », explique Mariam Charqaoui

Impact sur le monde des affaires

Les économistes soutiennent qu’une éventuelle rupture des relations entre les deux pays pourrait remettre en cause sans doute les intérêts des entreprises espagnoles installées au Maroc. En effet, ce sont plus de 1.000 entreprises espagnoles qui sont implantées aujourd’hui au Maroc dans divers secteurs dont une partie, sont des PME », estime Mariam Charqaoui. «Pour ces entreprises, le Maroc est un important marché de consommation. Elles bénéficient donc de la proximité géographique porteuse d’une économie incontestée en termes de coûts de transport. De plus, le Maroc présente pour de nombreuses entreprises espagnoles des avantages incontestés pour la sous-traitance de leur production : économies sur coût de la main d’œuvre, connectivité logistique, fiscalité avantageuse, cadre juridique développé de la protection des investissements et de la coopération bilatérale », ajoute t-elle avant de préciser que « dans le contexte de la crise du Covid 19, la redéfinition des stratégies des entreprises multinationales pour raccourcir les délais et les distances d’approvisionnement et sécuriser les chaînes logistiques permettra au Maroc de se revaloriser davantage en tant que base de production sûre pour l’entrepreneuriat espagnol dans les années à venir ». Sur les opportunités de renforcement du partenariat, l’économiste affirme que «le Maroc offre de nombreuses opportunités d'investissement dans des industries tournées vers l'exportation, mais aussi dans les énergies renouvelables et l'industrie de traitement de l'eau. L’Espagne dispose d’une très grande maîtrise des différentes technologies en matière d’énergies renouvelables mais également dans d’autres secteurs qui peuvent faire l’objet d’investissements conjoints : industrie agroalimentaire, chimique, transport ferroviaire à grande vitesse, digitalisation industrielle et des services publiques... ».

Ces secteurs qui pourraient accuser le coup

D’après Charqaoui, «il y a une grande complémentarité sectorielle dans la nature des échanges entre les deux pays : l’Espagne est un client important des produits marocains de l’agriculture et de la pêche, du textile, des composants électriques et de l’industrie automobile. Le Maroc importe également de l’Espagne des combustibles, des biens d’équipement industriels, de la chimie (engrais et acide phosphorique), des biens de consommation et des produits bruts ». Au-delà des échanges, le tourisme pourrait payer aussi le prix fort. Selon Komat, les flux sont dans les deux sens. « L’Espagne est une destination privilégiée pour les Marocains. Et en 2018, 900.000 d’entre eux se sont rendus en Espagne. Ce pays est considéré comme la seconde source de recettes touristiques avec plus de 2,5 millions de visiteurs espagnols en 2019 », résume Charqaoui. Concernant les MRE, on note la présence d’une forte communauté dans le pays ibérique. Avec un total de 800.000 en 2019, les Marocains représentent la première communauté étrangère légalement installée dans le pays. Sans parler des 5.000 étudiants marocains inscrits dans les universités espagnoles. En termes de recettes MRE pour le Maroc, l’Espagne est classée en troisième position avec 8,7% après la France et l’Italie. «En l’absence d’une résolution du conflit, les Marocains installés en Espagne pourraient en subir l’impact. L’Espagne aussi, puisque cette communauté joue un rôle primordial dans la dynamique économique du pays », prévient Abdellatif Komat.