« Fille aux tatouages ». Les coupables condamnés, mais après ?
Effacer les tatouages infâmes mais aussi surmonter la douleur profonde causée par un tel traumatisme

La Cour d’appel de Béni Mellal a distribué, mardi, des peines de 226 ans de prison à l’encontre des 14 bourreaux  de Khadija, « la fille aux tatouages ». Mais qu’en est-il de la « prison psychique » de la victime ? Quelles seront les séquelles d’un tel traumatisme ? Eléments de réponse avec la psychologue.



En 2019, un an après la révélation des détails sordides de l’affaire de Khadija ; alors qu’elle assistait au procès de ses agresseurs, « la fille aux tatouages » s’est exprimée brièvement :« Ce drame a bouleversé ma vie et celle de toute ma famille. A l’issue du procès, j’espère juste revivre normalement, quitter Oulad Ayad et refaire ma vie ailleurs ! ». Des mots simples et brefs pour dire tout l’espoir de dépasser les faits tragiques et de passer à autre chose.

Un passage en enfer

« Ce n’est pas toujours facile de revivre normalement après de telles expériences. Deux mois en captivité avec tout genre d’abus physiques et psychiques, surtout pour une personne aussi jeune, il est certain que les séquelles sont profondes et nécessitent un accompagnement professionnel, une psychothérapie adaptée et un grand soutien familial », explique Nadia Mouâtassim, psychologue clinicienne. Enlevée, violée par 14 hommes, violentée, le corps tatoué et séquestrée durant deux mois, Khadija a fait un passage en enfer alors qu’elle n’avait même pas 17 ans. Le récit de son calvaire a ému les Marocains en 2018 en suscitant un large mouvement de solidarité avec la désormais surnommée « Fille aux tatouages ».

« Cette jeune fille n’avait pas que la peau tatouée. C’est tout son être, son esprit et sa mémoire qui ont été marqués. Si à l’époque des médecins esthétiques se sont portés volontaires pour effacer ses grossiers tatouages, il n’en est pas moins nécessaire de lui offrir une thérapie lui permettant de dire son ressenti, d’expliquer comment elle a vécu et survécu à sa séquestration. C’est un processus libérateur », explique la thérapeute. Se défaire du fardeau des souvenirs douloureux, disséquer ses émotions et libérer sa mémoire... sont selon les spécialistes les meilleurs moyens pour elle d´aller de l’avant.

Rebondir

est-ce chose facile vu l’ampleur du stress post-traumatique ? Sans parler de la stigmatisation sociale. Car rappelons-le, au lendemain du déclenchement de cette affaire, Khadija a été victime d’une large campagne de diffamation de la part des familles des agresseurs. Accusée d’être une fille de petite vertu, la victime a été incriminée et pointée du doigt comme étant une droguée, alcoolique aux mœurs légères qui ne disait pas non à la compagnie des hommes. Son père Mohamed explique, lors du procès, que sa famille est devenue le mouton noir de Oulad Ayad. Doublement victime, Khadija devrait affronter sa souffrance psychique mais également soutenir le regard accusateur de son entourage. Dans ce cas de figure est-il possible de retrouver une «vie normale» ? Mais avant de penser à l’avenir et à la reconstitution, quelles sont les séquelles d’un tel traumatisme ?

« On peut citer des hallucinations mentales répétitives. A commencer par un ressenti irréel, la victime de séquestration peut s'imaginer au réveil qu'elle est encore prisonnière. Elle croit voir ses ravisseurs ou le lieu où elle a été séquestrée. Elle risque de ressentir cela avec une telle intensité qu’elle croira revivre son calvaire », explique la psychologue. Un « remake » de l’épreuve qui peut prendre différentes formes : visuelle, sensorielle, olfactive, auditive ou même gustative. Un enfer vécu à répétition surtout en présence de personnes ou dans des lieux susceptibles de lui rappeler ses agresseurs ou son calvaire. « Difficultés à dormir ou insomnie, somatisation avec des douleurs physiques inexpliquées sont autant de manifestations du malaise. Mais la modification de la personnalité reste un important risque du stress post-traumatique », note la spécialiste.

Le manque de confiance et un rapport de méfiance vis-à-vis de l'autre ou de son environnement sont les principales séquelles psychiques d’un tel traumatisme. Se sentant menacée en permanence, la victime peut rapidement perdre goût à la vie. Elle peut perdre le désir d'avoir une situation professionnelle, une vie sentimentale ou simplement se désintéresser de tout. « Elle peut aussi rencontrer des difficultés à avoir des relations sincères avec autrui. Dans le cas de Khadija, qui était adolescente au moment des faits, c’est encore plus délicat », soulève la clinicienne.

Explication ? « L’adolescence est une période de construction. Elle était une personnalité en devenir. C’est dire sa fragilité et sa vulnérabilité lors de son enlèvement. Sa sexualité et le type de rapport affectif qu'elle pourra entretenir avec les hommes risquent d’en être affectés », soutient la psychologue avant de rassurer: « mais grâce à une thérapie adaptée, de la résilience et une capacité à rebondir, les victimes peuvent récupérer ».