Entretien: "La hausse des prix des matériaux de construction aura un impact sur la valeur des biens immobiliers"
David Toledano, président de la fédération des matériaux de construction (FMC),

Les prix des matériaux de construction ont enregistré des hausses considérables. Raisons de cette flambée, impact sur le secteur immobilier, compétitivité du produit marocain…Explications du président de la fédération des matériaux de construction (FMC), David Toledano.



L’Observateur du Maroc et d’Afrique : Les prix de matériaux de construction ont connu une hausse importante. Comment expliquez-vous cela ?

David Toledano : Effectivement, depuis quelques semaines, les prix ont augmenté. Et la hausse touche essentiellement certains produits importés et la matière première nécessaire pour la fabrication de certains matériaux. Il s’agit particulièrement de l’acier, du verre, de l’aluminium...Cette situation s’explique d’abord par la fermeture de certaines unités de production pendant la période du covid-19 notamment au Brésil. Ensuite, la reprise a été forte en Chine et la demande a explosé face à une offre réduite. Résultat : une explosion des prix de 30% à 50% pour certains matériaux au niveau international. Au Maroc, la tendance n’est pas de cette ampleur. Par contre, pour des produits, tels que les billettes d’acier dont la production n’est pas suffisante, les opérateurs ont subi une hausse très importante allant jusqu’à 35%. Il y a aussi la hausse des prix du pétrole. Un autre facteur, non des moindres, la croissance exorbitante du coût du transport en provenance de Chine. Le prix d’un conteneur est estimé à 22000 dollars alors qu’il était à 2000 uniquement. Le prix a donc été multiplié par 10, sans parler de la pénurie des conteneurs. Finalement, c’est la combinaison de tous ces facteurs qui a provoqué une explosion des prix des matériaux de construction

A quand un retour à la normale d’après vos prévisions ?

Difficile de faire des prévisions dans ce sens pour le moment. Tout dépend de la sortie de crise. Les économistes avaient prévu une inflation, depuis quelques temps. Mais, on ne s'attendait à en arriver là. Nous espérons pouvoir retrouver des équilibres dans le futur pour revenir à des prix corrects.

Quel impact sur le secteur de l’immobilier ?

Le secteur immobilier souffrait déjà même avant cette crise pandémique. Aujourd’hui, l’impact sera de 5 à 10% sur la valeur globale des biens, puisque les matériaux de seconde œuvre n’ont pas été fortement impactés par cette tendance. Les promoteurs vont certainement prendre en compte cet élément dans leur calcul. Mais cela ne va pas être tellement déterminant au point de créer un déséquilibre.

Face à cette hausse constatée au niveau des prix de matériaux importés, le Maroc ne pourra t-il pas mettre en place une industrie forte qui lui permettra de réduire son indépendance vis-à-vis de l’extérieur?

Le Maroc fait partie d’un club très fermé des pays qui produisent 99% de leurs besoins pour l’acte de bâtir. Nous avons une industrie sidérurgique importante, une industrie cimentière capable de produire 21 millions de tonnes alors que nous ne consommons que 12 à 13 millions, nous disposons également de plus 80 briqueteries, de nombreuses usines d’aluminium, marbreries et unités de céramique sanitaire qui nous permettent de produire l’équivalent de 5 millions de pièces par an. Aussi, nous comptons près de 120 millions de carreaux produits au Maroc et malgré cela nous importons près de 30 millions pour diverses raisons...En gros, le Maroc dispose déjà d’une industrie locale performante et exporte même bon nombre de produits vers d’autres destinations. Toutefois, pour certains matériaux comme les billettes d’acier, les opérateurs cherchent certes à s’approvisionner d’abord localement mais sont obligés de recourir au marché international pour répondre à leurs besoins. Dans le monde entier, les sidérurgistes n’ont pas suffisamment de demande pour installer une industrie qui va aller de la mine jusqu’au produit final. De plus, il y a des pays qui sont capables de produire moins cher que nous dans ce domaine.

Justement, sur ce point, face à l’évasion de certains produits en provenance de pays comme la Turquie, le produit marocain n’est pas compétitif. Qu’en pensez-vous ?

Si le produit local n’est pas compétitif par rapport aux produits turcs particulièrement, c’est à cause de la politique commerciale agressive adoptée par ce pays. D’autant plus que les producteurs bénéficient de subventions et autres avantages de la part de leurs pouvoirs publics qui leur permettent de vendre à des prix cassés. Aujourd’hui, nous avons réussi plus au moins à contenir un certain nombre d’importations en provenance de ce pays dans le secteur des matériaux de construction notamment pour le marbre et autres produits...Et nous encourageons aussi les marbriers marocains à opter pour le produit local dans le cadre des écosystèmes miss en place. Les résultats jusque là sont satisfaisants. Et on avance dans ce sens.