Tourisme. Le plan d'urgence ne plaît pas à tout le monde
Le plan d'urgence pour le tourisme ne fait pas l'unanimité

A peine annoncé, le plan d’urgence prévu pour sauver le tourisme marocain suscite la polémique. Certains jugent que l’enveloppe dédiée au soutien reste en deçà des attentes. D’autres regrettent que bon nombre de professions touristiques soient exclues de la vision.

Le gouvernement marocain vient d'annoncer le lancement d'un plan d'urgence de 2 MMDH pour le soutien du secteur du Tourisme. Or, ce plan ne semble pas faire l’unanimité. Pour l’expert du tourisme, Zoubir Bouhout, l’enveloppe dédiée au soutien reste en deçà des attentes des opérateurs qui ont revendiqué un vrai plan Marshall pour reconstruire un secteur ruiné. Selon lui, elle est très loin de panser les plaies dues à la fermeture des frontières et causant d'énormes pertes pour le secteur. En chiffres, le professionnel note que la fermeture des frontières a eu un impact néfaste sur le secteur depuis mars 2020, puisque l'activité a baissé de 80 % en 2020. En 2021, il estime que la chute a été de près de 75% en 2021. « Le Maroc a perdu 10,4 millions d'arrivées en 2020 par rapport à 2019 et presque autant en 2021. Le volume des nuitées a subi le même sort puisqu'il est passé de plus de 25 millions en 2019 à environ 6,9 millions en 2020 (8,5 millions maximum en 2021) » ajoute Bouhout. Même son de cloche de la part du secrétaire général de la Fédération Nationale du Transport Touristique au Maroc (FNTT Maroc), Mohamed Bamansour. D'après lui, l’aide de 2MMDH est très insuffisante, compte tenu des pertes subies qui dépassent les 100 MMDH.

Un plan insuffisant

Le plan prévoit le prolongement du versement de l’indemnité forfaitaire de 2000Dhs durant le premier trimestre 2022 (incluant également les transporteurs touristiques et les restaurants classés ), le report des charges dues à la CNSS pendant 6 mois pour ces mêmes employés, l'établissement d’un moratoire relatif aux échéances bancaires sur une durée pouvant aller jusqu’à 1 an, pour les hôteliers et les transporteurs touristiques (les intérêts intercalaires seront pris en charge par l’État pour une période équivalente aux mois de non activité en 2021, ainsi que le premier trimestre 2022), la prise en charge par l’État de la taxe professionnelle due par les hôteliers en 2020 et en 2021, l’octroi d’une subvention de l’État au secteur de l’hôtellerie, pour un montant global de 1MMDH pour soutenir l’effort d’investissement (entretien, rénovation, formation...) des hôtels souhaitant se préparer à un redémarrage rapide de l’activité dès la réouverture des frontières.

Ces mesures sont t-elles suffisantes pour relancer l’activité ? «C’est une initiative louable. Encore faut-il publier le plus rapidement possible les décrets d’application, les conditions d’éligibilité et le calendrier prévu pour la mise en œuvre. L’urgence est absolue. Et la crainte, est que ce projet tombe encore aux oubliettes comme ce fut le cas pour le contrat programme signé auparavant », alerte Lahcen Zelmat, Président de la Fédération Nationale de l’Industrie Hôtelière.

Des activités totalement exclues

On reproche à ce plan d’urgence d’exclure certains métiers importants dans l’écosystème touristique comme c’est le cas pour les agences de location de voitures, les guides touristiques, les agences de voyages, les restaurants touristiques...Des mouvements de protestations ont été enclenchés récemment de la part de ces professions pour exprimer leur désarroi. Les réunions se sont multipliées, les revendications exposées, les promesses formulées. Finalement, rien de prévu pour sauver ce qui reste à sauver. Dès l’annonce dudit plan d’urgence, l’Union Nationale des Agences de Voyages a exprimé son mécontentement via un communiqué. Elle se dit étonnée d’être exclue du plan d’urgence prévu, sachant que le secteur n’a bénéficié jusque là d'aucun programme de soutien à l'exception du prolongement du versement de l’indemnité forfaitaire de 2000Dhs durant le premier trimestre 2022 et le report des charges dues à la CNSS pendant 6 mois. Le secteur n’est pas concerné alors par le report des échéances bancaires, l’exonération des taxes professionnelles, ni par le soutien direct de 1MMDH.

Selon le Président de l’Association Régionale des Agences de Voyage de Casablanca-Settat (ARAVCS), Khalid Benazzouz, les agences de voyage ont du mal à s’en sortir depuis deux ans. Benazzouz propose ainsi de mettre en place un plan Marshall de soutien avec des mesures concrètes «Nous sommes harcelés par les banques pour nos impayés. Et nous faisons face à une situation critique avec une trésorerie à sec, des charges fixes qui s’accumulent, des impôts et redevances à honorer... Aucun effort n’a été fait dans ce sens. Et si la situation perdure, nous allons finir par jeter l’éponge» prévient-il.

Les transporteurs touristiques, eux, bénéficieront du moratoire relatif aux échéances bancaires sur une durée pouvant aller jusqu’à 1 an mais ne sont pas concernés par les aides directes et l'exonération de la taxe professionnelle. «la reprise de l’activité nécessite des dépenses colossales pour entretenir les véhicules en arrêt total pendant une longue durée. Il me semble que les pouvoirs publics ne sont pas conscients de la gravité de la situation. Et j’estime que ce plan vient pour répondre aux intérêts de certaines professions au dépend des autres » déplore Bamansour qui alerte aussi sur la situation sociale dramatique des professionnels du secteur et leurs familles. L’opérateur exhorte par ailleurs le gouvernement à trouver des solutions pour les employés ne bénéficiant pas de l’indemnité forfaitaire et à accélérer la révision des cahiers de charges de la profession de manière à permettre aux transporteurs d’opérer avec une clientèle locale. Il note aussi que vu les insuffisances de ce plan, il serait nécessaire de mettre en place des contrats-programmes spécifiques pour chaque profession.

Une ouverture des frontières s’impose

Tous les représentants des professionnels du tourisme sont unanimes : ils plaident pour une ouverture des frontières. Zelmat est catégorique : «il faut de l’aide certes, mais il faut aussi et surtout l’ouverture des frontières » insiste t-il. Et il ajoute : « Si la décision est prise demain, il nous faudra au moins 6 mois pour redémarrer l’activité puisqu’on repart avec un handicap majeur : la perte de confiance des tour-opérateurs, des compagnies aériennes et des touristes vis-à-vis de la destination Maroc. Il faudra donc tout reconstruire dès le début ». Et le tourisme interne ? «Le tourisme intérieur ne peut pas remplacer le tourisme international pour un certain nombre de considérations, d'abord parce que le Maroc dépend à 70% des nuitées du tourisme international, étant donné que les revenus par habitant des citoyens des principaux marchés émetteurs sont plus élevés que les revenus du citoyen marocain. D'autre part, les plans touristiques que le Maroc a connus en 2010 et 2020 n'accordaient pas plus d'importance aux infrastructures d'accueil destinées au tourisme interne, dont le programme « Biladi » conclut Bouhout.