Digital Services Act - DSA. Comment l’UE compte réguler le contenu web (vidéo)
Le Parlement européen vu de l'intérieur

C’est une première mondiale et une deuxième victoire pour Emmanuel Macron après sa réélection. Un accord politique vient d’être scellé concernant la législation sur les services numériques (DSA). Visant la régulation au sein de l’UE des contenus et services numériques, ce texte, encore provisoire, figure parmi les priorités fixés par le président français également président de cette Union jusqu’en juin prochain. La nouvelle législation imposera de nouvelles règles aussi bien à tous les créateurs de contenu qu’aux GAFA et autres géants du net.

Alors que le Safe Tech Act est encore âprement débattu aux Etats-Unis, l’Union européenne vient de sauter le pas en adoptant, dans la nuit du vendredi à samedi (22 et 23 avril), la mouture quasi finale de son «Digital Services Act» dont l’acronyme «DSA» entrera bientôt dans le langage courant.

Il s’agit de nouvelles règles qualifiées d’historiques dans le communiqué publié sur le site du parlement européen aussitôt après cette adoption. Le DSA est présenté comme étant un outil législatif devant permettre de lutter plus efficacement et plus rapidement contre la diffusion de contenus illicites en ligne.

Les nouvelles dispositions rendent notamment possible l’accès aux algorithmes des plateformes numériques. Le législateur européen espère ainsi mieux informer les utilisateurs de la manière dont les contenus leur sont recommandés. Google, Facebook et autres géants du web sont directement concernés.

Le DSA impose aussi à tous les prestataires de service intermédiaires en ligne dont font partie les réseaux sociaux comme les , entre autres, de retirer les produits, services et contenus illicites rapidement après leur signalement. Les fake news, les propos diffamatoires, les appels à violence ou la haine et tout acte répréhensible d’ordinaire dans la vie réelle tombent sous le coup de cette réglementation du contenu virtuel. Il en va de même du ciblage fondé sur des données sensibles ou encore du ciblage publicitaire des mineurs.

Dans sa première sortie médiatique après l’adoption du DSA, le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, explique au JDD clairement que ce texte veut mettre fin aux dérives des réseaux sociaux.
«Tout ce qui est interdit ‘‘off line’’ , c’est-à-dire dans la vie de tous les jours, doit l’être aussi ‘‘on line’’, c’est-à-dire en ligne. L’architecture de ce texte, son ADN, réside dans ce principe : le transfert des obligations et des interdictions de la vie physique à la vie virtuelle. Cet enjeu est essentiel pour l’avenir de nos démocraties», insiste le haut responsable européen. Ce dernier se félicite de voir l’Europe se doter des outils nécessaires pour poursuivre les actes délictueux en ligne comme les appels à la haine, le harcèlement en meute, l’incitation au terrorisme, la pédopornographie, les fausses nouvelles, la contrefaçon...

«Les places de marché et les réseaux sociaux devront se doter d’un système gratuit de réclamations, facilitant la contestation des décisions de retrait d’information, de suspension ou de résiliation de compte», ajoute-il. Il souligne aussi que les plateformes en ligne auront aussi l’obligation d’informer « promptement » les autorités judiciaires quand elles soupçonnent une « infraction pénale grave » menaçant « la vie ou la sécurité des personnes », et devront suspendre les utilisateurs fournissant régulièrement des contenus illégaux, comme des discours de haine ou des annonces frauduleuses.

Par ailleurs, le DSA impose une protection plus efficace aux victimes de cyberviolence, notamment contre le partage non consenti de matériels intimes (‘‘revenge porn’’) devant être, à l’avenir, immédiatement retirés.

Le parlement européen affirme avoir tout prévu pour s’assurer que les notifications de contenus illicites soient traitées de manière non arbitraire et non discriminatoire et en respectant les droits fondamentaux, notamment la liberté d’expression et la protection des données.

Il affirme également avoir veillé à forcer les places de marché en ligne à plus de responsabilité pour que les consommateurs puissent acheter des produits et services en ligne sûrs.

Pour ce qui est contrôles, ceux-ci seront renforcés pour vérifier la fiabilité des informations fournies par les vendeurs. Dans le même sens, il est attendu des plateformes en ligne qu’elles fournissent des efforts pour prévenir l’apparition de contenus illicites sur leurs plateformes, notamment via des contrôles aléatoires.

Lourdes sanctions

Le DSA prévoit des pénalités colossales en cas d’infraction de ses dispositions. Les plateformes en ligne et les moteurs de recherche pourront se voir infliger des amendes allant jusqu’à 6% de leur chiffre d’affaires mondial. Concernant les très grandes plateformes (disposant de plus de 45 millions d’utilisateurs), la Commission européenne aura le pouvoir exclusif d’exiger le respect des règles.

Par ailleurs, les PME disposeront d’un délai plus long pour appliquer les nouvelles règles.

C’est clair que les géants américains sont les premiers visés par la nouvelle réglementation. D’ailleurs, il a été officiellement annoncé qu’une délégation de la commission du marché intérieur du parlement européen allait visiter, du 23 au 27 mai, plusieurs sièges d’entreprises (Meta, Google, Apple...) dans la Silicon Valley afin d’échanger sur le paquet législatif sur les marchés numériques et sur d’autres législations en préparation, et d’entendre la position des entreprises, start-ups et universitaires américains ainsi que des représentants du gouvernement.

«L’Union européenne compte environ 120 millions d’habitants de plus que les États-Unis. Son poids est considérable, d’autant plus quand elle agit au nom de tous les États membres. Plusieurs législations nationales distinctes n’auraient pas eu une telle efficacité. Grâce à ce texte, une plateforme ne pourra pas jouer un pays contre un autre», affirme Thierry Breton.

Si tout va bien, le DSA pourrait entrer en vigueur, comme l’avait souhaité le président français, au cours de l’année prochaine.


En attendant, ce texte devra être finalisé au niveau technique et vérifié par les juristes-linguistes avant que le Parlement et le Conseil ne donnent leur accord formel, peut-on lire sur le site du Parlement européen. Une fois la procédure terminée, les nouvelles dispositions entreront en vigueur 20 jours après leur publication au Journal officiel de l’UE, et les règles commenceront à s’appliquer 15 mois plus tard.

Dès lors, «les plateformes devront se soumettre à des obligations graduées, en fonction de leur importance. Y compris les plus puissantes d’entre elles, qui comptent plus de 45 millions d’utilisateurs», explique le commissaire européen. «Plus l’audience d’une plateforme est élevée, plus ses capacités de contrôle devront être importantes, à commencer par ses effectifs de modération. Chacune devra également nommer un représentant légal en Europe. En d’autres termes, les plateformes devront s’adapter à nos règles et non l’inverse», conclut-il.

Pour rappel, l’adoption du DSA intervient un mois après l’accord provisoire trouvé sur la législation sur les marchés numériques (DMA) entre les négociateurs du Parlement et du Conseil européens. Cette autre règlementation cible les grandes entreprises fournissant des services en ligne "essentiels", qui sont les plus sujets aux pratiques commerciales déloyales, comme les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche. Là aussi l’objectif annoncé est le bannissement de certaines pratiques utilisées par ces grandes plateformes jouant le rôle de contrôleurs d’accès.

Le Parlement européen a affirmé être parvenu via ce texte à garantir que l’association de données personnelles à des fins de publicité ciblée ne soit autorisée que si un consentement explicite est fourni au contrôleur d’accès. Il a aussi tenu à inclure une exigence permettant aux utilisateurs de choisir librement leur navigateur, leur assistant virtuel ou leur moteur de recherche.

Si un contrôleur d’accès ne respecte pas ces règles, la Commission européenne pourra imposer des amendes allant jusqu’à 10% du chiffre d’affaires mondial de l’exercice précédent (et jusqu’à 20% en cas de récidive). En cas d’infraction systématique, l’acquisition d’autres entreprises pendant une période donnée pourrait être interdite aux contrevenants.

Intense polémique

Comme à chaque fois que de nouvelles règles sont annoncées touchant aux contenus web, des défenseurs des droits de l’Homme mettent en avant les dangers potentiels que ces textes pourraient représenter sur la liberté d’expression.

D’ailleurs, une vive polémique a lieu actuellement aux Etats-Unis où les sénateurs démocrates Mark Warner (Virginie), Amy Klobuchar (Minnesota) et Mazie Hirono (Hawaï) ont déposé, début février dernier, le Safe Tech Act. Un projet de loi visant à changer les règles du jeu sur Internet en proposant de réformer l’article 230, de la loi de 1996, qui exempte de poursuites pénales les sites participatifs pour les contenus publiés par les usagers.

Les porteurs de cette réforme affirment vouloir protéger les consommateurs contre la fraude, l'exploitation, les menaces, l'extrémisme et les autres dommages dont ils peuvent victimes sur la toile.

Selon un sondage réalisé fin janvier et publié le 9 février par Axios, 71% des Américains se disent favorable à cette réforme. Mais ses détracteurs sont nombreux.

Comme on peut le voir à travers ce débat diffusé en direct le 14 avril sur YouTube,

Mark Warner, qui est l’un des initiateurs du Safe Tech Act, fait face à une forte réticence de la part de Barbara Comstock.



Pour cette ancienne représentante républicaine de Virginie à la Chambre des représentants (de 2015 à 2019), toucher à l’article 230 reviendrait à ouvrir la voie à tous les abus possibles contre la liberté de s’exprimer.

«L'idée de base est que l’on puisse être en mesure de porter plainte contre toutes les actions illégales commises dans le monde virtuel. Cela ne garantit pas l’issue de la plainte, mais cela assure au moins une voie de recours», a répliqué Mark Warner.

La même polémique va commencer au sein de l’UE.