Des femmes face à la pandémie de l’ombre et à l’impunité
Aux violences physiques s'ajoutent les traumatismes psychologiques
Les femmes et les jeunes filles victimes de violence, de viol ou du harcèlement sexuel, vivent souvent pendant de longues années, sous l’emprise de leurs bourreaux, qu’il soit le mari, l’ex, le compagnon, le copain, le frère, le père ou même le voisin et elles arrivent difficilement à s’en sortir. Au Maroc, ni la loi, ni les programmes, ni les combats et plaidoyers des ONG et associations de droits de femmes et humains ne sont venus à bout de la spirale de la violence dont sont victimes les femmes et les filles. La parole se libère peu à peu mais les violences, les stéréotypes et les discriminations basées sur le genre persistent par ce qu’ils sont tout simplement enracinés dans les normes sociales. L’expérience du confinement l’a d’ailleurs bel et bien confirmé.

Livrées à leurs bourreaux

Alors que le monde faisait face à la pandémie du Covid-19, les violences dont sont victimes des femmes et des filles se sont accrues. La Fédération des ligues des droits des femmes révèle que les violences basées sur le genre ont augmenté de 31, 6% durant les périodes de confinement et d’urgence sanitaires en 2020 par rapport à la même période de l’année 2019. Mais les chiffres au niveau national peuvent être plus importants. Les témoignages recueillis souvent par téléphone montrent combien le confinement a été dévastateur pour beaucoup de femmes et filles victimes de violence notamment dans la sphère familiale. Elles étaient tout simplement livrées à leurs agresseurs au vu et au su de tout le monde parce qu’en ces temps de pandémie, la protection de la violence n’était pas considérée comme prioritaire. Les services essentiels tels que les abris contre la violence au sein des associations et des centres ont été suspendus pendant les périodes du confinement en plus des restrictions de déplacement dans les villes. De ce fait, l’assistance téléphonique a atteint sa capacité maximale.

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« Lors des premiers mois du confinement, on recevait 24h sur 24 des appels de détresse de femmes et filles victimes de violence grâce au service d’assistance téléphonique aux femmes victimes de violence lancé avec l’appui de l’UNFPPA et l’Ambassade du Canada au Maroc. On savait que la plupart étaient en danger de mort et qu’elles pouvaient décéder à n’importe quel moment sous les coups mais on ne pouvait hélas leur offrir que l’écoute et la mobilisation de nos amis et réseaux d’associations pour leur venir en aide dans la mesure du possible », explique Samira El Bannanin Directrice exécutive de l’association Troisième Millénaire pour le Développement de l’action Associative au Sud-est à Errachidia (ATMDAS).

Parmi les cas les plus marquants, Samira se rappelle d’une jeune femme de Tanger enceinte qui était violentée chaque jour par son mari. « Il lui donnait des coups à la tête jusqu’à ce qu’elle perde connaissance. Elle était à la merci de son agresseur », se rappelle la responsable associative. Samira El Bannanin se souvient aussi du cas d’une jeune fille de Kenitra. Celle-ci était tabassée par son copain et malgré sa plainte, son agresseur en liberté, menaçait de la tuer. « Une femme d’El Jadida a fait une tentative de suicide et nous avons pu la sauver in extremis. Son ex-mari a élu domicile chez elle pendant le confinement et lui faisait subir toute sorte de violences et agressions physiques et sexuelles. Elle voulait mourir par ce qu’elle était seule face à un criminel malgré ses plaintes auprès de la police. Nous avons écouté des centaines et des centaines de femmes meurtries et nous étions désarmées face à tant de souffrance », ajoute El Bannani.

Pandémie de l’ombre et impunité

Cette violence sans précédent, ONU femmes la qualifie de pandémie parallèle ou de pandémie de l’ombre. Ce phénomène s’est développée pendant la crise de la Covid-19. Et ce sont les violences domestiques qui étaient les plus importantes et les plus marquantes lors des signalements par les victimes ou leurs familles. Il s’agissait de violences verbales, sévices physiques, menaces de mort, de coups et même de strangulation.

« Je suis devenue le souffle douleur de mon mari pendant le confinement. Il me battait chaque jour devant mes quatre enfants dont l’ainé de 17 ans, et mes cris de détresse auprès des gendarmes de la commune de oulad taeb ne m’avaient servi à rien. Ils l’appelaient, nous faisaient signer un PV et m’obligeaient à rentrer à la maison. Et si mon mari ne me tabassait pas le soir même, il le faisait le lendemain matin et nous retournions une fois encore chez les gendarmes sans que rien ne change » raconte Aziza 36 ans. Cette victime affirme qu’elle se rend chez les gendarmes quotidiennement, après chaque agression, en vain.

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« Je les supplie de me protéger et de me trouver une solution sans succès. J’ai perdu mes deux parents et je n’ai pas où aller avec mes quatre enfants. Je leur disais qu’il allait finir par me tuer mais sans succès. On me disait que tout était fermé et que je devais revenir au domicile conjugale ». Mariée par amour à l’âge de 19 ans après l’obtention de son bac, Aziza est victime depuis de la violence à cause de la jalousie maladive de son mari.

« Je n’avais même pas le droit de regarder par la fenêtre ni appeler mes sœurs ou même sa mère. Je me suis enfui une fois pendant une année et demi et avais été hébergée dans des centres pour femmes battues à Fès, Meknès et à Casa. Mon mari finit toujours par me retrouver et je cède à cause des enfants. Je subis la violence physique, mentale et même sexuelle quotidiennement mais lors du confinement, il est devenu enragé et c’est devenu intense », se plaint-elle.

Aziza n’est pas un cas isolé. Nombreuses sont les femmes et les jeunes filles qui sont victimes de violence domestique. Toutes s’étaient retrouvées lors du confinement, isolées, emprisonnées entre les quatre murs de leurs foyers et abandonnées à leur sort. Si elles ne s’en sortent pas avec des handicaps et des maladies, ce sont des séquelles qui les marquent à vie. « Quand les femmes battues fuyaient le domicile et la violence, elles sont arrêtées par la police dans la rue et obligées de rentrer chez elles sachant le danger encouru », explique Drissia de l’association Welina monadilates créee à Fès et qui regroupe les survivantes à la violence.

Pour les femmes victimes de violence, le foyer familial n’est plus un lieu sûr. Face à l’impunité des agresseurs et sans les services essentiels aux survivantes (hébergement, prise en charge, soins de santé..), ces victimes sont réduites au silence et restent sous l’emprise de leurs bourreaux. Les rares qui arrivent à se libérer, avec l’appui souvent des associations, peinent à se reconstruire et à réapprendre à vivre leur liberté sans peur, sans honte, sans culpabilité. Un chemin qui n’est jamais sans embûches dans une société patriarcale qui, malgré la modernité affichée, classe toujours la femme au second rang.