Francophonie : Bataille des dames
Mireille Duteil

Qui l’emportera, la semaine prochaine, lors du XVIIe sommet de la Francophonie d’Erevan, en Arménie ? Sur le ring, deux poids lourds de la politique internationale : la première, Michaëlle Jean, secrétaire générale sortante de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) brigue un second mandat de quatre ans ; la seconde, Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères d’un Rwanda anglophone, semble, a priori, incongrue dans cette vieille enceinte francophone.

Derrière cette bataille de dames se profilent des supporters de poids. L’un, le Canada, soutient sa concitoyenne, Michaëlle Jean, dont elle fut la Gouverneure générale (représentante de la Reine d’Angleterre) bien qu’originaire de Haïti. Derrière Louise Musikiwabo : le Rwanda, une majorité des pays africains et, un soutien de poids, Emmanuel Macron, le président français. La situation est inédite : le sommet d’Erevan risque de se transformer en duel franco-canadien, les deux plus gros contributeurs de l’OIF. Ni Emmanuel Macron, le Français, ni son ami Justin Trudeau, le Canadien, ne le souhaitent. Ils ont tenté de trouver un compromis sur cette ennuyeuse rivalité lors de leurs trois dernières rencontres, en particulier à New York en septembre. Apparemment sans succès. Aucun ne veut, une semaine avant le sommet, lâcher son poulain.

Comment en est-on arrivé là ? Au-delà des profils différents des deux candidates se cachent, à Ottawa et à Paris, des approches opposées de ce que doit être l’OIF. Du côté des postulantes, Michaëlle Jean a un premier avantage : Secrétaire générale sortante, elle devrait, en théorie, comme ses prédécesseurs, être réélue pour un second mandat. Mais elle a aussi de nombreux détracteurs, en particulier en Afrique centrale où Kabila et Sassou N’Guesso, les voisins congolais, la boudent. Elle est, par contre, en bons termes avec les présidents sénégalais et malien. Paris lui reproche des dépenses trop importantes pour une francophonie aux résultats trop minces. D’autres regrettent sa méconnaissance de l’Afrique, continent clé de la Francophonie, et lui reprochent d’avoir bousculé les règles de fonctionnement de l’organisation et changé sans ménagement les équipes, sans omettre une gestion manquant de rigueur.

Sa rivale rwandaise, quant à elle, n’enthousiasmait guère les Africains, il y a quelques mois encore. Ministre des Affaires étrangères d’un pays qui a rejeté le français au point de le supprimer de son enseignement, Louise Mushikiwabo n’est pas une candidate qui fait de la défense de la démocratie et des droits de l’Homme (pas vraiment respecté au Rwanda) un de ses credos, contrairement aux dispositions de la Charte de la Francophonie. Mais la Rwandaise a une botte secrète : le soutien d’Emmanuel Macron.

En mai, le président français lui-même annonçait la candidature de Louise Mushikiwabo à l’OIF. Deux raisons à cette curieuse initiative présidentielle. La première, Emmanuel Macron veut mettre fin à la brouille qui oppose Paris à Kigali depuis le génocide rwandais et rapprocher le Rwanda de l’Afrique francophone, son berceau originel. Il a convaincu l’Afrique de le suivre et, en juillet, en Mauritanie, lors du sommet de l’Union africaine, elle votait, à l’unanimité, en faveur de la candidate rwandaise. Il est vrai que le continent refuse de voir le poste de Secrétaire général de l’OIF lui échapper. Seconde raison : tournant le dos à la Francophonie politique de Chirac (que soutient le Canada, entre autre), Emmanuel Macron parle de « nouvelle Francophonie ». Elle ressemble étrangement à celle de ses origines en souhaitant se replier sur le seul enseignement du français. Une politique prônée par Louise Mushikiwabo...

Chronique publiée le 05 octobre 2018