Le don d’organes départage la toile 
Mal perçu, le don d'organe ne séduit pas les Marocains

En annonçant  le legs de leurs organes après leur mort, des stars provoquent le débat sur les réseaux sociaux. Alors que certains internautes saluent l’initiative, d’autres s’y opposent en les accusant de chercher le buzz et en invoquant la religion.



« Moi, Sanaa Aakroud, je viens de signer la déclaration du donneur potentiel pour léguer mes organes après ma mort et de les offrir aux personnes malades qui en ont besoin pour survivre. Le don d’organes n’est pas un luxe ou une mode. C’est une grande nécessité qui devrait solliciter tous les efforts pour une meilleure sensibilisation. C’est un devoir citoyen, un geste d’humanisme, un signe de solidarité et un appel à la vie et à la compassion... ». Ce sont les mots choisis par l’actrice et la scénariste Sanaa Aakroud pour annoncer sa volonté de legs de ses organes après son décès.

Buzz

Cette annonce faite, il y a 4 jours, sur son compte instagram à plus d’un million de followers ne passera pas inaperçue. Aussitôt partagée sur les réseaux sociaux, l’information va provoquer une avalanche de réactions. Des milliers de commentaires et un débat houleux sur la décision de la comédienne mais également sur le don d’organe en général.

« Ce n’est qu’une nouvelle stratégie pour faire le buzz et faire parler d’elle. Les stars nourrissent leur égo avec ce genre d’annonces et tout le bruit que ça fait », juge un internaute. Un jugement injuste ? Avant Sanaa Akroud, des stars égyptiennes ont été traitées de la même manière à l’annonce de leur volonté de donner leurs organes. L’actrice Ilham Chahine en a fait l’amère expérience récemment en faisant l’objet d’une véritable campagne de diffamation sur les réseaux sociaux. « Opportuniste », « actrice en fin de carrière », « effet de mode », « besoin d’attirer l’attention »... L’actrice égyptienne a été carrément lynchée.

Inquisition

Sanaa Aakroud n’y échappe pas non plus. « C’est ta manière de te racheter par rapport à toute la dépravation cumulée tout au long de ta carrière ? », accuse Un follower. Versant dans le même sens, un autre fustige: « Qui en voudra de tes organes souillés par les pêchés collectionnés dans tes films et tes feuilletons ». Un véritable procès moral et inquisiteur dans lequel sera également invoquée l’interdiction religieuse.

Si une minorité salue l’initiative de Aakroud et trouve son geste profondément humanitaire, d’autres, la plupart d’ailleurs, vont affirmer que le don d’organes est interdit par l’Islam. « Notre corps nous nous appartient pas. Il nous a été confié par le Créateur et on doit le rendre intact », écrit une encore plus intéressée . « C’est formellement interdit par l’Islam que ça soit avant ou après la mort. Nous n’avons aucun droit sur nos corps. Et encore moins le droit de les décortiquer à la mort et d’en distribuer les différentes parties », tranche un autre.

Une croyance assez répandue qui se répète régulièrement dans un grand nombre de commentaires révélateurs. Au-delà de la réaction par rapport à la donneuse, Aakroud, on détecte une perception profondément négative et erronée du don d’organes. Manque d’empathie vis-à-vis des personnes souffrantes et mourantes qui ont absolument besoin de ces organes pour survivre ? Rejet d’un pseudo effet mode ou simple ignorance et manque de sensibilisation par rapport à une pratique humaniste et vitale ?

Réticence

D’après Amal Bourquia, professeur de néphrologie et néphrologie pédiatrique et présidente de l’association «REINS », plusieurs problèmes limitent l’accès à la transplantation dans notre pays. « Beaucoup de donneurs potentiels sont bloqués par le manque d’informations, la faible sensibilisation sans oublier le grand problème de la perception lié à de fausses informations souvent basées sur les rumeurs », explique la spécialiste lors d’une conférence débat à propos du don d’organes, tout en déplorant le grand retard accusé par le Maroc.

A titre d’exemple, le Maroc compte près de 34.000 patients sous dialyse sans parler des autres insuffisances liées aux organes vitaux à savoir le cœur, le foie et les poumons. Les chiffres annoncés par l’association « REINS » sont cependant éloquents : 610 transplantations rénales depuis 36 ans et seulement 1.200 donneurs potentiels inscrits sur le registre du don. Très peu vu le grand besoin en organes vitaux et malgré l’existence d’une loi régulant tout le processus du don et du legs d’organe.

La loi

« Toute personne majeure jouissant de ses pleines capacités peut, de son vivant, et selon les formes et conditions prévues à la présente section, faire connaître sa volonté d'autoriser ou d'interdire des prélèvements d'organes sur sa personne après son décès, ou de certains d'entre eux seulement », stipule l’article 13 de la loi n° 16-98 relative au don, au prélèvement et à la transplantation d'organes et de tissus humains. L’article 14 explique quant à lui la procédure.

« La déclaration du donneur potentiel est enregistrée auprès du président du tribunal de première instance compétent à raison du domicile du donneur, ou du magistrat spécialement désigné à cet effet par le président. La déclaration est reçue sans frais après que le magistrat se soit convaincu de la volonté libre et éclairée du donneur potentiel et, notamment, se soit assuré que le legs est effectué gratuitement et au seul profit d'un organisme habilité à recevoir les dons d'organes ».

Tous des donneurs

« Ces textes mettent en place un cadre protecteur pour la personne humaine et évitent les dérapages. Mais ils mériteraient d’être revus pour être mieux adaptés à la pratique », note Pr Bourquia. L’association REINS demande en effet depuis des années, de modifier cette loi. Objectif ? « Nous devons être tous des donneurs sauf ceux qui s’inscrivent sur le registre du refus. Comme c’est le cas dans d’autres pays. Une telle procédure est susceptible de favoriser le développement du don d’organes après le décès », assure la présidente de REINS à l’occasion de la journée mondiale du don d’organes fêtée chaque 17 octobre.