Transformation digitale. Les régulateurs ont du pain sur la planche
La transformation digitale pose de nouveaux défis que les pouvoirs publics doivent relever sur le plan de la réglementation et de la régulation.

La transformation digitale a des avantages, certes. Mais son impact pose de nouveaux défis que les pouvoirs publics doivent relever sur le plan de la réglementation et de la régulation. Le conseil de la concurrence lance la réflexion collective autour de la question.



« La transformation digitale ne se limite pas à l’innovation au sens large consistant à créer ou améliorer un service ou processus. Elle renvoie plutôt à un phénomène plus profond faisant appel à l’innovation de rupture exerçant alors un impact profond sur le fonctionnement des marchés aussi bien au niveau de l’offre et la demande que les conditions de la concurrence et de régulation ». Le constat est dressé par le président du conseil de la concurrence, Ahmed Rahhou à l’occasion de la conférence internationale organisée par le conseil en partenariat avec l’agence nationale de réglementations des télécommunications et l’agence du développement du digital autour de la thématique de la «transformation digitale : entre régulation et compétitivité ».

Défis à relever

Le choix de la thématique n’est pas fortuit. En effet, avec la transformation digitale « nous sommes confrontés à des défis majeurs avec des implications majeures sur la concurrence du fait que le marché numérique dispose de caractéristiques différentes de marchés traditionnels. De nouveaux modèles d’affaires apparaissent et le digital tend à favoriser naturellement la concentration de marchés», souligne Rahhou ajoutant que le marché en question apparait dans une situation monopolistique ou oligopolistique et contribue à la prolifération de positions dominantes. On assiste aussi, selon lui, à une abolition plus facile des barrières à l’entrée pour certains marchés. De nouveaux défis sont alors posés. Et «les réglementations se trouvent ainsi interpellés notamment par rapport à l’équité dans application des conditions juridiques en matière d’exercice de certaines professions et de régimes fiscaux puis par rapport à l’adéquation de règles juridiques avec les contraintes liées à la propriété du capital et aux obligations comportementales des entreprises », insiste Rahhou.

De son côté le gouverneur de Bank Al Maghrib, Abdellatif Jouahri, qui met l’accent sur la complexité de l’environnement numérique , note que les régulateurs et les responsables de la politique de la concurrence sont amenés aujourd’hui à tenir compte de ces différentes considérations pour maitriser les risques de la digitalisation en s’assurant de la pertinence du cadre juridique et réglementaire nécessaire pour garantir des conditions de développement saines sans compromettre les avantages que la transformation digitale peut apporter.

Chaque pays à sa propre recette

Sur la nature des mesures à mettre en place pour minimiser les risques inhérents, les pays prennent des voies différentes. Chacun met en place sa propre recette. Mais, finalement l’option d’une régulation ex ante est parue plus réaliste. Là aussi, il n’y pas consensus. La réglementation diffère d’un pays à l’autre. La commission européenne a adopté en juillet 2022 deux nouveaux règlements le digital markets Act (DMA) et le digital services Act (DSA) qui ont pour objet de réguler les plateformes numériques. L’objectif est lutter contre les pratiques anticoncurrentielles des géants de la technologie et corriger les déséquilibres de leur domination sur le marché numérique européen. « Ces deux textes d’ampleur devraient s’appliquer dès 2023 et doivent limiter la création ou la perpétuation de domination économique de grandes plateformes et la diffusion en ligne de contenus et produits illicites », commente Fréderic Jenny, président du comité de la concurrence de l’Organisation de la Coopération et de Développement Economiques (OCDE) relevant qu’une bonne régulation exige la compréhension du fonctionnement de la concurrence entre tous les secteurs économiques.

De même le Royaume Uni dans le cadre de sa stratégie digitale post brexit, a publié en juillet 2021 son plan de réglementation numérique accompagné par une vision pour le futur réglementaire de l’intelligence artificielle qui sera favorable à l’innovation et adaptée au contexte par une réforme pour la protection des données. Le Japon pour sa part a mis en place une nouvelle loi en février 2021 pour améliorer la transparence et l’équité des plateformes numériques obligeant ainsi ces derniers à œuvrer pour préserver le droit de la concurrence.

Au Maroc, le directeur général de l’Agence de Développement du Digital (ADD), Mohammed Drissi Melyani a affirmé que l’agence, à travers un certain nombre d’outils digitaux, vise à permettre l’accès équitable à la Data et aux données et ce, dans l’objectif de garantir une concurrence saine et d’aider les métiers de régulation à mieux gérer les marchés marocains. Néanmoins, beaucoup reste à faire. L’heure est à la réflexion collective afin de concevoir une gouvernance économique en phase avec les intérêts des citoyens, des entreprises et des Etats. L’idéal serait, selon les différents participants lors de la conférence, est d’opter pour une réglementation adaptée au contexte local mais inspirée de ce qui a été fait au niveau international pour avancer plus vite. Les avis sont unanimes : une coopération est utile dans ce domaine.