Le Carnaval du Brésil
Vincent Hervouu00ebt

« Dieu est Brésilien », c’est ce que disent les habitants, fiers de leur paradis. Peut –être que le diable aussi est brésilien ? Raciste, homophobe, misogyne et nostalgique de la dictature militaire, il ne manque que les cornes à Jair Bolsonaro qui est pourtant arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle avec 46,3% des voix. Pendant sa campagne, il a fait tout ce qu’il a pu pour susciter l’indignation de la presse, l’horreur des féministes, la panique de la gauche. Il a failli y laisser sa peau, qu’un militant de l’autre bord a largement entaillée au couteau. Mais comme le diable est malin, sa chambre d’hôpital du candidat lui a servi d’estrade de meeting et les vidéos le montrant en réanimation, puis en rééducation ont constitué d’excellents clips de campagne.

Jair Bolsonaro est un diable de première classe, ses provocations dégagent plus de souffre que les tweets d’un Donald Trump. Il est pour la peine de mort évidemment mais il justifie la torture aussi... Il est contre l’égalité homme-femmes mais pas seulement : il ose dire à une ministre qu’elle est « si laide qu’elle ne mérite pas d’être violée !». Il lâche cette horreur dans un pays où la police enregistre une plainte pour viol toutes les onze minutes. Et il dénonce sans trève les foyers monoparentaux «qui fabriquent de l’échec et des délinquants».Il est contre la protection de l’Amazonie et pour la stérilisation des pauvres. Il appelle ses enfants par le code militaire, 01, 02, 03 et déclare que s’il a eu une fille, c’est « dans un moment de faiblesse »... Il avoue qu’il préfèrerait que son fils soit mort « plutôt qu’avec un moustachu ». Son succès électoral est la revanche éclatante du macho latino. Le mythe de l’homme fort reste vivace. Les Brésiliens le démontrent après les Italiens qui plébiscitent Matteo Salvini, les Philippins qui ont élu Rodrigo Duerté et les Américains, Donald Trump.

Jair Bolsonaro est la Providence de la gauche brésilienne qui le présente comme le petit Hitler des Tropiques. L’homme qu’elle aime détester. En fait, il est le seul qui pouvait la ramener au pouvoir. Ses outrances font oublier le discrédit du Parti des Travailleurs plombé par les scandales de l’ère Lula. Fernando Hadad a pris le relais de l’ancien président que les juges ont refusé de libérer. Il a réuni 29,5% des voix au premier tour mais garde une petite chance de l’emporter car le second tour est le 28 octobre, ce qui laisse le temps à Jair Bolsonrao de dire une horreur de trop. Un Brésilien sur trois ne veut à aucun prix qu’il soit Président.

Pour comprendre le phénomène Bolsonaro, il faut réaliser que le Brésil est en état de choc. L’enquête « Lavage express » a envoyé Lula Da Silva en prison pour douze ans. Il a ainsi le temps de se préparer aux 5 procès qui l’attendent. Il ne s’agit pas d’un pot de vins ou de l’emploi fictif d’une épouse : Lavage express est la plus vaste affaire de corruption qui ait secoué l’Amérique latine. L’affaire a touché 50 pays, envoyé derrière les barreaux 300 politiciens et hommes d’affaires brésiliens. Résultat : seuls 13 % des Brésiliens croient encore à la démocratie. Et pour cause : le coût annuel de la corruption est estimé à 50 milliards de dollars ! La corruption et la violence ont tellement entamé l’Etat qu’il n’inspire plus aucune confiance. Quand Jair Bolsonaro propose d’autoriser largement le port d’armes, il reconnait que l’Etat a échoué à désarmer les gangs et que le citoyen doit se défendre seul. Cet article de son programme est l’une des raisons de son succès dans les campagnes abandonnées.

Les Brésiliens s’imaginent que seule l’armée est encore capable de répondre aux défis que les politiciens ont laissé pourrir sur pied, comme elle est seule à oser entrer dans les favélas abandonnées aux narcotrafiquants. L’ancien capitaine Bolsonaro a passé deux fois plus de temps au Congrès que dans sa caserne. Mais personne n’a jamais soupçonné ce politicien de second rang de corruption. Voter pour lui est une façon de manifester le rejet d’une élite qui s’est rendue odieuse. C’est le symptôme d’une crise profonde. Pas seulement un coup de fièvre populiste ou une poussée de « dégagisme ».

Chronique parue le 12 octobre 2018 dans L'Observateur du Maroc et d'Afrique