Conjoncture. Que nous réserve 2023 ?
Pour l’institut CDG, les crises récentes peuvent bien être une aubaine pour le Royaume.

Projections de croissance de l’économie nationale, leviers à mobiliser, projet de loi de finances 2023, décarbonation….l’institut CDG met le focus sur ces thématiques lors d’une rencontre en ligne.



« Comment se présente 2023 ? », telle est la thématique choisie pour une rencontre organisée par l’institut CDG qui a vu la participation des économistes et experts de différents horizons.

Perspectives de croissance globalement positives

D’après Javier Diaz Cassou, senior economist chez World Bank Group, « l’économie marocaine a des atouts importants, surtout sa résilience et un cadre macro-économique et des institutions en charge des politiques publiques qui sont très solides [...]. Même dans un contexte incertain, l’économie marocaine continuera de croître à un niveau au-dessus de l’économie mondiale ». En effet, malgré la multiplicité des chocs internes et externes auxquels doit faire face l’économie nationale, les perspectives d’évolution de celle-ci demeurent positives, avec une fourchette de croissance très optimiste allant de 3.1% à 4.5% selon les différentes institutions. Ces prévisions tiennent compte du ralentissement prévu de la croissance au niveau de la zone euro, principal partenaire commercial du Royaume, du changement de cycle en matière de politique monétaire, ainsi que des effets négatifs de la hausse des prix sur la consommation des ménages.

L’institut CDG note que l’économie nationale affiche actuellement plusieurs signes de reprise : taux d’utilisation des capacités de production supérieur à 70% selon la dernière enquête de Bank Al-Maghrib, hausse des créations d’emplois en milieu urbain au deuxième trimestre et baisse du taux de chômage global, vigueur des exportations hors phosphates et dérivés, plus de 60 mille créations d’entreprises à fin septembre, etc. « Tout ceci dénote un dynamisme de la reprise économique, grâce notamment à la solidité des secteurs productifs et de la confiance des agents économiques dans l’environnement national des affaires », ajoute l’institut.

Aussi, les hypothèses du PLF 2023 ont jugées très optimistes. Avec un taux de 4.5% annoncé comme objectif de croissance. Néanmoins, les économistes insistent sur la persistance de certains risques qui pourraient peser sur les performances de l’économie nationale : la dégradation de l’environnement géostratégique et son impact sur les prix des produits énergétiques et alimentaires, ou encore la réaction de l’économie face à la hausse de certains taux fiscaux prévue par le PLF 2023. Par ailleurs, « la poursuite des politiques monétaires restrictives aux Etats-Unis et au niveau de la zone euro risque de serrer davantage les conditions de financement sur les marchés de capitaux internationaux. Ceci devrait pousser le Trésor marocain à recourir à des tirages auprès du FMI », préviennent les économistes.

Quid des marges pour le financement de l’investissement ?

Les avis sont unanimes. Le Maroc dispose ainsi de marges de manœuvre budgétaires lui permettant d’enchainer les réformes structurelles pour maintenir la croissance potentielle de son économie. A ce niveau, « l’investissement a toujours été considéré comme un vrai levier de développement. Cette volonté a été clairement affichée au cours de ces dernières années et sera intensifiée encore davantage dans les années à venir », explique l’institut CDG.

Le PLF 2023 prévoit une enveloppe globale de 300 milliards de dirhams d’investissements publics, en hausse de 55 milliards par rapport à 2022. Plusieurs mesures d’accompagnement sont prévues : le déploiement du Fonds Mohammed IV pour l’Investissement, la mise en œuvre de la charte de l’investissement ainsi que les réformes d’envergure qui concernent les entreprises publiques.

Cette dynamique d’investissement nécessite un grand effort pour en assurer le financement. Il convient de noter à ce niveau que la programmation budgétaire triennale établie par le ministère des finances fixe un objectif de déficit budgétaire de 3.5% à l’horizon 2025 afin de stabiliser et de maintenir la dette du Trésor à moins de 70% du PIB. Toutefois, le gouvernement dispose d’un « espace budgétaire » et de marges de manœuvre qu’il envisage de mobiliser afin d’accompagner l’effort d’investissement annoncé notamment 3% du PIB relatifs à l’exploitation du potentiel fiscal, suite à l’élargissement de l’assiette fiscale, à l’amélioration du recouvrement et des dépenses ainsi qu’à la modernisation de l’administration fiscale, entre 1% et 1.5% du PIB à dégager à travers la rationalisation des dépenses publiques : dépenses du personnel, du matériel, consommation de biens et services, etc et 2% du PIB grâce à des mécanismes de financement innovants afin de générer des liquidités supplémentaires pour financer les projets d’infrastructure.

Les transferts des MRE constituent un levier supplémentaire pour renforcer l’investissement national. « Toutefois, ces objectifs ne pourraient être atteints si la croissance potentielle de l’économie nationale n’est pas renforcée à travers l’allocation efficace et optimale des facteurs de production et le renforcement de la productivité », relève l’institut CDG.

Renforcement des bases de l’Etat social

Le PLF 2023 fait de la généralisation de la couverture de la protection sociale un des axes d’intervention prioritaires du gouvernement. « Ceci devrait néanmoins être accompagné par l’amélioration des services publics de santé, afin d’éviter le manque d’attractivité dont a souffert le régime du RAMED auparavant. Il faut également trouver des solutions au problème de la couverture territoriale des CHU et des infrastructures sanitaires, au déficit en termes d’effectifs des médecins, des techniciens de santé et des infirmiers, de la qualité d’accueil et des soins, etc », recommande l’institut qui ajoute que le concept d’Etat social n’est pas uniquement synonyme de la généralisation de la couverture de la protection sociale, mais qu’il englobe également la qualité des services publics en général, des politiques économiques de soutien à l’emploi, de la régulation des relations sur le marché du travail, du maintien du pouvoir d’achat des citoyens, etc. « les réformes requièrent l’adhésion des citoyens et leur confiance. La confiance requiert deux ingrédients : des actions de court terme qui ont un impact sur la vie des citoyens et une justice lorsqu’il s’agit de supporter le coût de ces réformes », insiste l’économiste chercheur, Karim El Mokri.

La décarbonation, une opportunité

Les experts expliquent que le changement climatique peut impacter la trajectoire d’évolution de l’économie marocaine. « L’adaptation est donc essentielle, notamment à travers la gestion de la rareté de l’eau à court terme via le développement des infrastructures traditionnelles et non traditionnelles. Mais ceci n’est pas suffisant, il faut travailler à moyen et long terme sur la gestion de la demande et sa rationalisation », estiment les économistes. En matière d’atténuation, « le Maroc gagnerait à décarboner son économie », affirme l’institut CDG ajoutant que « même si le Royaume est un pays à faibles émissions de gaz à effet de serre, son intégration aux économies européennes qui affichent des ambitions claires dans ce sens, son taux d’investissement élevé de 30% du PIB en moyenne et les infrastructures qu’il a déployées dans le secteur des énergies renouvelables le positionnent pour faire de la décarbonation une opportunité lui permettant de consolider sa croissance à moyen et long terme ».

En gros, l’institut CDG reste convaincu que les crises récentes peuvent bien être une aubaine pour le Royaume. Taoufik Abbad, chef de la division des synthèses macroéconomiques au sein de la DEPF déclare dans ce sens que « il y aura des crises à répétition et on doit les saisir comme des accélérateurs [...]. On doit accompagner les mouvements qui s’opèrent au niveau mondial et renforcer notre capacité d’adaptation et de résilience ».