Incendie de Mohammedia. Les failles du système
De nombreux experts pensent que la défaillance des installations techniques et l’absence des normes de sécurité pourrait être à l’origine de cet incident.

Mohammedia a frôlé le pire jeudi dernier suite à un grave incendie qui s’était produit dans certains réservoirs de gaz. Le feu a provoqué d’importants dégâts matériels. Quelles leçons à tirer pour la période à venir?

Mohammedia a échappé de peu à une catastrophe. Un énorme incendie s’est déclaré jeudi soir, suite à plusieurs explosions de réservoirs de gaz au niveau du site gazier de « la falaise », une aire située près du port de la ville.

Version officielle

Selon le ministère de la transition énergétique et du développement durable, les équipements de stockage et les entrepôts annexes n’ont pas été endommagés par le sinistre. Le ministère a indiqué aussi que le feu s’est déclaré dans un premier camion-citerne de gaz propane situé sur le parking, puis s’est propagé à 4 autres camions-citernes. Il a ajouté également que les dommages matériels concernent principalement l’incendie de cinq camions-citernes, de 8 tonnes chacun en plus de deux voitures particulières et de quelques dégâts sur le même site. Aucun décès n’a été déploré. Le département a précisé par ailleurs, qu’une cellule préfectorale conjointe, composée de représentants des collectivités locales, des autorités et des départements ministériels concernés, a été mise en place pour enquêter sur le sinistre, estimer les dégâts en vue de la prise des décisions nécessaires.

Ce qu’en pensent les experts

De nombreux experts pensent que la défaillance des installations techniques et l’absence des normes de sécurité pourrait être à l’origine de cet incident. Omar Bennani, formateur QHSE, souligne qu’en l’absence d’une politique de prévention des incendies, ce genre de sinistres va continuer voire même s’amplifier. Pourtant, des alertes, il y en a eu plusieurs, dont certaines très dramatiques à l’instar de l’incendie de l’usine Rosamor survenu en 2008 qui a coûté la vie à 55 personnes ou encore celui de la Samir en 2004 qui s’est produit dans un bac de stockage et qui aurait pu se transformer en une catastrophe. « Il est temps pour les industries de pétrochimie de reconsidérer la façon dont ils gèrent leurs risques », alerte Bennani.

Le professionnel déplore également le le manque de compétences dans le domaine. « Les compétences requises en matière de sécurité ne sont pas toujours à la hauteur des risques encourus chez beaucoup d’entreprises. Ces risques sont sous-évalués voire même ignorés ». Un autre expert dans le domaine de la sécurité note que l’usage de produits à haut risque requiert le renouvellement et le contrôle continu des installations qui devraient répondre aux normes de sécurité exigés.

Un casse tête pour les assureurs

Pour l’assureur Faraj Mohammed Benwahoud, le manquement aux règles de sécurité dont la prévention et la protection s’il est avéré, pourrait impacter négativement l’appétence des assureurs pour ce genre de risques. Comment ? «L’acceptation d’un risque chez les assureurs qu’ils soient marocains ou étrangers est basée sur la fréquence de la survenance de risques similaires sur une période donnée dans le même pays et sur sa gravité », explique t-il ajoutant qu’il n’y a aucune raison qui oblige un assureur d’accepter «un mauvais business ». L’assureur explique qu’un mauvais business est celui qui contient un risque mal géré au niveau des moyens de prévention et de protection, au niveau de la formation des effectifs en charge de la sécurité et l’hygiène des employés... « Devant ce genre de risques, les assureurs deviennent en général plus réticents comme c’était le cas après l’incendie dramatique de l’usine Rosamor », assure-t-il.

Ce qu’il faut savoir c’est les assureurs accordent des abattements sur les primes en fonction du système de sécurité incendie installé. En cas d’un incendie comme celui de Mohammedia, Benwahoud confie que l’assureur va procéder à une expertise pour identifier les causes et les circonstances et faire une évaluation du sinistre. Si l’assureur estime qu’il s’agit d’une faute involontaire, il y aura indemnisation certes mais il y aura aussi une majoration de la prime d’assurance justifiée par l’augmentation du risque.

Quels enseignements à tirer ?

D’après l’expert en sécurité, les opérateurs du secteur doivent tirer la leçon de cet incendie et revoir ainsi la performance de leurs installations et mener des inspections régulières de leurs équipements. Même son de cloche de Benwahoud qui ajoute que ce sinistre est un avertissement très sérieux pour éviter un autre drame humain, social, environnemental, économique et financier comme celui du port de Beyrout. Il reste ainsi convaincu qu’il faut reconsidérer deux problèmes au niveau des entreprises dans le domaine de la sécurité et l’hygiène au travail : le casting de ceux qui auront à gérer cette lourde tâche et la formation. Il ajoute également que la démarche du risk management est un métier à part entière. «Je pense que c’est un métier qui doit non seulement être encouragé mais il faudra obliger toute activité qui pourrait engendrer un risque comme celui de Mohammedia à aller vers un audit risk management », insiste-t-il. Bennouna préconise pour sa part d’activer les textes réglementaires concernant les installations classées ICPE et les transports de marchandises dangereuses (TMD). Il recommande même la délocalisation de certaines activités jugées à haut risque vers d’autres zones loin des agglomérations. A Mohammedia, il décrit ces activités comme étant de véritables bombes à retardement qui risquent un jour d’emporter toute la ville. « L’Etat doit "désamorcer ces bombes », conclut-il.